• Ultimes péripéties (seconde partie)

    NOTE URGENTISSIME ET EXTREMIMPORTANTE:

    Je me suis montré particulièrement bavard pour cet article... à tel point que j'ai dépassé la limite de caractères des articles de blogg.org! (je savais même pas qu'il y en avait une...) Donc, j'ai découpé le texte en deux. La moitié qui suit ce paragraphe est la seconde, la première partie, c'est l'article encore en-dessous. Capito?

     

     


     

         Une masse sombre venait de surgir du couloir de sortie du souterrain... une ombre immense se dessinait sur le mur d'en face, et malheureusement, Oldi et Kaito découvrirent bien vite qu'il ne s'agissait aucunement d'un effet d'optique. Ils murmurèrent un juron (ce qui arrive très souvent, quand on marche dans une grotte).

         Un homme. Colossal. De la taille et l'odeur d'un camion poubelle et d'une largeur d'épaules égale à sa hauteur, il venait de pénétrer la salle souterraine. D'une laideur à affoler un compteur Geiger, le personnage n'était qu'un golem qu'on avait tenté de vaguement civiliser en lui faisant don de descentes de lit pour qu'il s'en fabrique des vêtements. Le résultat tenait de l'attentat à l'esthétisme; sa chemise à carreaux lui allait autant que des moufles à un hippocampe, et ses chaussures devaient probablement faire quatre pointures de plus que les plus grandes autorisées par la convention de Genève. Son visage boursouflé avait tout du clafoutis périmé, une démoniaque lueur brillait intensément dans ses yeux -un véritable phare à paupières- et ses cheveux visiblement coiffés avec une branche de sapin semblaient fuir dans tous les sens la tête hideuse à laquelle ils étaient, hélas pour eux, fixés.

         Voyant les deux vulnérables qu'elle avait face à lui, l'apparition retroussa les lèvres et dévoila un bataillon de poussins qui devait constituer sa dentition. Manifestement, la chose souriait, et ce n'était pas forcément un point positif.

         - Pien le ponchour, mechieurs, sussura le colosse.

         L'anthropopithèque baveux répondant au nom de Taba(9) avait une voix qui évoquait une porte de crypte. Une voix grave et monotone, que même son accent ridicule ne parvenait pas à rendre plus pimpante. En fait, la phrase somme toute polie qu'il venait de prononcer ne s'accordait pas du tout, ni à son physique ni à son timbre vocal; un grognement rauque suivi d'un cri dément avec postillons en prime aurait été plus convenable. A moins que cela ait été un effet de style pour accentuer le côté inquiétant du personnage. Si c'était le cas, la manoeuvre avait parfaitement réussi.

         - Monchieur Thymmilou avait prévenu que fous tenteriez te pacher par ichi, poursuivit le truc. Che chuis charché t'empêcher chela: che chuis Alpert Tapa, gartien tu pachache. Ch'est pourquoi che fous prierai te faire temi-tour au plus vite, chinon ch'est moi qui fous ramènerai au château... et malgré mes muchcles, che ferai plujieurs foyaches, chi fous foyez che que che feux tire.

         Oldi et Kaito restèrent cois, n'osant pas dire le moindre mot face au colosse. Ils avaient le choix entre déclarer faire demi-tour, ce qui ne les arrangeait guère, ou signaler leur volonté de continuer, ce qui était également peu adéquat car ce sont des personnes sérieuses, qui ont un emploi du temps chronométré, et ils n'avaient pas spécialement prévu de mourir ce jour-ci. L'Hercule, impatient, décida pour eux.

         - Pon, déclara-t'il sur un ton à faire reculer un grizzly, che chuppoje que fous afez técité te pacher, chinon fous auriez fait temi-tour... on fa tire que oui. Cha tompe pien, depuis que le fieux Adalpert a mené ches vaches à l'apatoir, che n'avais plus grand-choje chur quoi pacher mes nerfs.

         Avant qu'Oldi et Kaito aient compris le rapport entre le fait de ne plus pouvoir se défouler et la disparition subite de vaches, Taba, gardien du passage(10), saisit un tonneau -plein- gisant dans un coin de la pièce, l'arracha de son cercueil de moisissure et le jeta comme un chef d'entreprise l'aurait fait du CV d'un ex-taulard. Leur espérance de vie étant tombée à approximativement deux secondes, Oldi et Kaito bondirent chacun de leur côté pour éviter le projectile viticole. L'objet atterrit lourdement sur les rochers; les antiques planches n'ayant évidemment pas supporté le choc, il explosa en projetant en tous sens un liquide pourpre et poisseux qui devait être, deux ou trois siècles auparavant, un excellent vin. A présent séparés par un lac rougeâtre, Oldi et Kaito, chacun réfugiés derrière une stalagmite, regardèrent apeurés le colosse qui ricanait à l'autre bout de la pièce. Il n'y avait eu, malheureusement, aucun trucage. Taba ricanait. Un rictus effrayant déchirait son visage, sa face velue semblait exprimer toute la rage du monde; il aurait facilement servi de modèle à un tableau de Goya. Il semblait évident, premièrement que le dit Taba était habitué à ce genre d'exploit, deuxièmement que cela faisait un petit moment qu'il ne l'avait pas réédité. Il y avait des muscles qui avaient un besoin urgent de se défouler, et on venait de leur en offrir l'opportunité. Le Taba, même passif, est un énorme danger pour la santé.

         Taba poussa un hurlement -la première chose que l'on s'attendait à entendre sortant de sa bouche, en fait- et courut d'un pas à faire dérailler un train. Sa première cible: Oldi. Il fonça en direction de la stalagmite derrière laquelle la victime s'était dissimulée, et, lançant son poing tel un obus à ongles, frappa. Si Oldi n'avait pas eu le réflexe, boosté par l'adrénaline, de sauter latéralement, il se serait retrouvé enfoui sous des tonnes de caillasses, puisque le golem velu, contre toute probabilité, avait gagné le combat contre la matière inerte.

         Oldi atterrit dans la mare de vin qui tapissait le sol d'une partie de la grotte. Kaito l'aida à se relever -il avait quitté sa cachette étant donné que Taba venait de lui prouver qu'elle n'était pas vraiment sûre- mais ils ne purent pas rester ainsi bien longtemps, puisque le colosse revint à la charge! Se secouant la main droite, puisqu'il éprouvait une légère douleur suite à son coup (là où tout humain normal aurait supplié l'amputation), il décida de laisser reposer son membre et d'utiliser sa main gauche en intérim... il saisit un morceau de la stalagmite qu'il venait de briser ("morceau" qui avait en passant les dimensions d'un tabouret), et le jeta hargneusement en direction du duo!

         Oldi et Kaito eurent à peine le temps de s'extraire de la flaque avant que la caillasse n'y coule, aspergeant une bonne moitié de la grotte de son contenu poisseux. Oldi vit soudain, à côté de lui, une vieille bouteille de vin local dont l'étiquette avait été rendue illisible par les siècles. Oubliant tout savoir-vivre, il la saisit promptement et la jeta en plein dans la face du colosse! Mais, horreur! Le projectile semblait avoir eu autant d'effet que des chatouilles sur un calamar. Pire, Taba souriait, et le vin lui dégoulinant sur la face associé à son rictus abominable donnait un résultat tellement effrayant qu'il aurait aisément pu être embauché par le subconscient pour servir dans les cauchemars.

         Et pire encore, les vapeurs alcoolisées du vin mathusalémique, loin d'étourdir le colosse, augmentèrent encore sa fureur en même temps que son tonus musculaire! Et il prouva l'instant d'après qu'il était aussi rapide que puissant. Imitant tel les gorilles les gestes de ses adversaires, il mitrailla en direction des deux apeurés, en utilisant en guise de munitions des bouteilles exposées dans une armoire derrière lui. A une cadence efficace de 2 bouteilles à la seconde, Oldi et Kaito n'eurent d'autre choix que de fuir tandis que des bouteilles explosaient derrière eux, histoire de leur rappeler de ne pas ralentir.

         Oldi et Kaito, réfugiés provisoirement derrière un tonneau, décidèrent de riposter fort. Ce n'était pas le moment d'être timorés! Une idée désespérée leur vint: leur abri allait forcément être détruit, autant qu'il serve à quelque chose. Les cales de bois situées sous la boîte à vin semblaient complètement pourries... pas à hésiter. Chacun, de leur côté, ils frappèrent dedans. Aussitôt désagrégées, le tonneau quitta son socle (détruisant au passage 486 ans de toiles d'araignées) et se mit à rouler en direction de la bête! Taba hurla...

         Hélas, tout Trouperdois le savait, il en fallait plus pour venir à bout de Taba. L'armoire à glace prit la position typique du lutteur sumo, prêt à accueillir le rouleau compresseur comme il se devait. Le tonneau prit de la vitesse... et stoppa brusquement. Une centaine de kilos, dont trois de graisse et le reste de muscle, venait de le stopper. Pis encore: la montagne souleva l'énorme masse comme elle l'avait fait du premier tonneau et, tout comme son compatriote au début du combat, le balança en direction de ses victimes. A nouveau, il explosa, tapissant la partie (relativement) sèche de la cave de centaines de litres de liquide périmé. Partout à présent gisaient bouts de bois et armatures de métal torturées, dans des flaques pourpres et poisseuses; la cave ressemblait à un champ de bataille sanglant. La seule chose qui y manquait était un ou deux cadavres, et Taba comptait bien arranger cet oubli.

         Oldi et Kaito, miraculeusement indemnes, mais vulnérables et apeurés, regardèrent ébahis le colosse invincible. Celui-ci, dans une position de mort-vivant, teint blafard et bras pendants, haletait. Les cheveux empreints de transpiration lui collant au visage, il dégagea un oeil du revers de la main et lorgna ses cibles mouvantes d'un regard torve. Le suspense était à son comble. Le colosse, subjugué par l'ingéniosité de ses ennemis, désirait-il abandonner le combat? Non, impossible, cette supposition ferait mourir de rire tout Trouperdois de base. On le savait dans la bourgade, il lui en faut plus pour qu'il se barre, Taba. Ca allait fumer.

         Taba était très, très énervé. Et le mot était -contrairement à lui- faible. Depuis qu'il avait étranglé à mains nues son premier veau à l'âge de quatre mois et pris goût à la violence gratuite, aucun être vivant qui s'était opposé à lui n'avait survécu plus de trois minutes quatre secondes... et ces deux salopiauds de touristes avaient pulvérisé son record de dix-sept secondes. Ils lui avaient fait un affront, et un affront, ça se lave... dans un bain... un bain de sang, en ce qui le concernait. Ils allaient payer.

         De rage, Taba se mit à grogner tel un animal hystéricoenragé, faisant craquer les os de ses doigts, non pas que ceux-ci soient engourdis mais afin de profiter au maximum du bruit que feront ceux de ses victimes en se brisant... Il se frappa la poitrine tel un gorille colérique, poussa un hurlement bestial... et une énorme stalactite située juste-au dessus de lui, affaiblie par les derniers évènements, chut. Elle se brisa pile sur la tête du Taba hystérique. Celui-ci se calma aussitôt. Ses yeux effectuèrent des rotations peu habituelles, il prononça quelques mots, ou du moins tenta dans la mesure où ses lèvres s'étaient amollies, puis finit par clore ses paupières en grommelant, un filet de bave lui humectant la poitrine.

         Dans un magnifique ralenti à cinq images / seconde, le colosse tomba, inanimé, sur le sol poisseux de la cave dévastée.

         Le silence était à présent total dans la grotte, à peine troublé par quelques clapotis insignifiants. La chose était vaincue... même si le combat n'était probablement pas la dernière difficulté de l'aventure, une fanfare aurait été idéale à ce moment. Le duo s'approcha prudemment du corps inerte du psychopathe, afin de s'assurer que tout danger était bien écarté.

         S'il n'y avait plus de danger du côté de Taba, il y en avait par contre au fond du couloir... à peine Oldi et Kaito avaient-ils eu le temps de souffler qu'à nouveau les ennuis se profilaient. Un bruit similaire à quatre personnes ayant des sabots aux pieds et trimbalant chacune deux ou trois outils de jardinage tranchants provenait du fond du corridor. Des lumières issues de flammes paysannes éclairaient peu à peu le couloir de sortie, et les héros eurent juste le temps de se dissimuler derrière une armoire à bouteilles avant qu'une bande de Trouperdois armés d'un bataclan assassinatoire fasse irruption sur le champ de ruines.

         - Impochiple! dit l'un d'eux, qui semblait avoir une casserole amputée de son manche en guise de casque (et c'était le cas). Ils ont eu Tapa! Ils l'ont... tué!
         - Cheche te tire tes pêtijes, echpèche d'apruti! lui répondit un autre Trouperdois, qui n'était autre que le patron du Poussin éviscéré. Il en faut pluch que cha pour fenir à pout de Tapa, il est cheulement achomé. Ch'est quand même lui qui a churvécu te cha chute tu toit te l'égliche l'an ternier, che fameux chour où il était pourré! Il finira par che réfeiller... cha peut prentre tu temps, par contre! La ternière fois, il est rechté groggy teux ponnes heures. N'empêche, che Oldi et chon copain, ils ont fait fort. Tomache qu'ils choient te loin, ils cheraient tignes t'être Troupertois.
         - Au fait, où chont-ils, ches teux comiques-là? répliqua un troisième batracien.

         Un silence gêné et quasi palpable répondit à cette question. Le mutisme était tel que le moindre bruit aurait sonné comme un coussin péteur dans une cathédrale.

         - Le pachache checret tu par! hurla le gérant du dit "par". On est là à che lamenter et pentant che temps, le pachache est ouvert! Retournons-y fite, et tépêchez-fous, pante te molluchques! Chi on les a dépachés en chemin chans ch'en rentre compte et qu'ils en ont profité pour filer, cha fa être notre fête!
         - Et Tapa?
         - Laichons-le ichi, il ne richque plus rien. Et puis che rappelle qu'il est touchours très contrarié quand il refient à lui après afoir été achomé, et qu'il frappe tout che qui est à cha portée. Chi quelqu'un feut attendre qu'il che réfeille, qu'il le tije!

         Un silence général compatissant répondit à l'affirmation, puis les gardes Trouperdois repartirent en direction du bar en brinquebalant leur attirail. La bande éloignée, Oldi et Kaito sortirent de leur cachette.

         - Ca sent mauvais, dit Oldi, bien que les Trouperdois aient quitté la salle. Ces gaillards surveillent la sortie, et ils vont sûrement avertir Thymmilou...
         - Pas de problème! dit Kaito, motivé par sa victoire. On s'en occupe! On les rejoint, on les kungfuise, on les massacre, on les armageddonise, comme l'autre, là, par terre, on...
         - Il s'est assommé tout seul! signala Oldi. Et si tu crois que ses copains...

         Oldi, soudainement, se tut. Il cligna plusieurs fois des yeux, tout en faisant une moue contrariée. Il avait exactement la même attitude qu'un enquêteur ayant remarqué un détail étrange susceptible de le mener à la clé l'énigme. Et cela pour une bonne raison: il avait, effectivement, remarqué un détail étrange.

         - Réfléchis un instant... finit-il par dire à Kaito. Tu te souviens de la largeur du passage reliant cette grotte à l'auberge? Tu penses vraiment que ce gars aurait pu passer par là?

         Kaito reluqua la colline, ou plutôt l'homme, reposant dans une flaque viticole et qui avait tenté de les massacrer quelques minutes auparavant.

         - Non, répondit-il catégoriquement après une demi seconde de réflexion. Il n'aurait même pas pu entrer dans l'auberge en la laissant intacte, il aurait fallu démolir au moins trois murs porteurs.
         - Exactement! C'est que ce souterrain a au moins une autre sortie. Et, si ça se trouve, Thymmilou avait une telle confiance en ce colosse que ce passage alternatif n'est pas, ou peu surveillé. D'autant plus que nous ne sommes pas censés connaître l'existence de ce passage...
         - Ca se tient, dit Kaito. Mais comment on va faire pour trouver cette autre sortie?

         Oldi le regarda en haussant un sourcil. Attitude typique de celui qui compte faire comprendre à un ami que celui-ci vient de dire une énorme banalité.

         - D'accord, d'accord, acquiesça Kaito, ce sera le seul tunnel de trois mètres de diamètre.

         Oldi hocha la tête en signe de compréhension. Sur ce, les acolytes partirent à la recherche de la sortie...

         Pendant ce temps, dans le château du mage Hédépargne, une grande agitation régnait, et elle était loin d'abdiquer. Cela faisait déjà un petit moment que la populace du village fouillait la forteresse à la recherche des deux touristes ennemis, et pour l'instant, les gueux faisaient chou blanc. Augustin Thymmilou, au centre de la pelouse qui était autrefois une place pavée, tapotait frénétiquement du pied. Ce geste avait pour but de calmer ses nerfs, mais pour être honnête, il aurait été plus efficace de le laisser étrangler quelques chatons. Et son moral n'allait pas s'améliorer, étant donné que le maire de Trouperdu Ernest Sessendre vint soudain vers lui:

         - Monchieur Thymmilou! Monchieur Thymmilou! cria l'édile.
         - Monsieur Thymmilou, répondit celui-ci sur un ton répugnant de dédain. Qu'est-ce qu'il y a?
         - Ch'ai... hésita un instant le maire... puis, il se reprit. Ch'ai rechu un appel des autres, au fillache. Olti et Kaito chont... pachés par les tunnels. Et ils ont eu Tapa. Ils chont à leur recherche, mais...

         Thymmilou, enragé, explosa.

         - ABRUTI! dit-il en poussant Ernest Sessendre dans l'herbe. Vous êtes tous des INCAPABLES! Qu'est-ce que j'ai donc fait au ciel?! Je m'en doutais! Dégagez-moi l'entrée de ce souterrain et plus vite que ça!
         - On fait che qu'on peut, monchieur, répondit un Trouperdois qui avait ouï Thymmilou (en même temps, il aurait fallu se trouver au moins à Naples pour ne pas l'entendre). Mais ches pierres chont fraiment très, très lourtes et...
         - Je m'en contrefiche! répondit le chef de chantier. Répartissez-vous les tâches! Une moitié reste ici et essaie de rouvrir le souterrain, une autre me suit: nous redescendons au village! S'ils sont encore dans le tunnel, il faut absolument tenter de les pêcher à la sortie! EXECUTION! Et quand je dis "exécution"...

         En disant cela, Thymmilou caressait pensivement une faux laissée là par un des villageois. Ses ordres étaient on ne peut plus clairs. Aussitôt, la répartitions des Trouperdois en deux groupes commença.

         Au même moment, un Trouperdois se trouvant sur un balcon du donjon remarqua un vieux grimoire placé dans une encoche d'une vieille stèle qui, chose étrange, semblait émettre une légère vibration. Il se dit qu'il pourrait tirer un bon prix de ce livre ancien, si seulement il arrivait à le soustraire de son socle dans lequel il était visiblement bloqué. Avec un peu de chance, le retirer de cet endroit ne lui prendrait pas beaucoup de temps. Et cela n'aurait, à première vue, aucune conséquence grave...

         Oldi et Kaito, pendant ce temps, parcouraient en sens inverse et de manière méthodique la seconde moitié du souterrain. Il fallait qu'ils soient prudents: les Trouperdois de l'auberge pouvaient resurgir à n'importe quel moment... il fallait absolument trouver une autre sortie. Il y en avait forcément une.

         Soudain, ils la virent. Dans leur course effrénée de la veille, ils étaient passés à côté sans s'en rendre compte: une ouverture, dans la paroi, aussi large qu'un pilier de pont et fortifiée à la hâte avec des bouts de bois grossièrement taillés. Ces poutres semblaient taillées à la main, et vu l'homme pour qui ce souterrain avait été aménagé, le contraire aurait été étonnant. Oldi et Kaito se regardèrent, histoire de vérifier que cette ouverture providentielle n'était pas une hallucination due aux vapeurs de vin de tantôt, puis, s'étant aperçus que ce couloir était aussi réel que leurs ongles de pieds, s'engouffrèrent dans le passage.

         Après une centaine de mètres de couloir tordus probablement dessinés par un architecte éthylique, les acolytes parvinrent devant une porte colossale. Immense, renforcée par des barres en fer et dotée d'une serrure comme une pelle à tarte, elle semblait infranchissable. Et, malheureument, elle l'était. C'est bien simple, si la Bastille avait été protégée par une porte de ce genre, la France serait actuellement sous les ordres d'un nommé Louis XXIV. Oldi caressa pendant un instant le doux espoir que la porte ne soit pas verrouillée... peine perdue.

         - Bon, dit Kaito en caressant le bois, espérant qu'un mécanisme secret y soit dissimulé. Je crois que c'est loupé. On fait quoi, à présent? On retourne dans le dépotoir Trouperdois nommé "auberge" pour s'y faire dépecer?
         - Il y a forcément un moyen d'ouvrir, dit Oldi. Une porte qui ne s'ouvre jamais, c'est idiot! Autant faire un mur. A moins que...

    Oldi examina la serrure de plus près. Il y avait une ouverture. Et qui dit ouverture dans une serrure dit...

         - Clé! hurla Oldi, faisant fi de toute prudence. Il nous faut la clé!
         - Bravo, inspecteur Oldi, dit ironiquement Kaito en esquissant un applaudissement mou. Et on la trouve où, cette clé?
         - Réfléchis, dit Oldi. Pour qui semble avoir été conçu ce passage?

         Kaito se tut. Il connaissait la réponse, mais la dire l'aurait tellement déprimé qu'il préférait réfléchir à son acte. Malheureusement, pour une bonne compréhension réciproque avec son ami, parler était indispensable.

         - Non, finit-il par lâcher, un sanglot dans la voix. Ne me dis pas qu'il faut aller la chercher sur le corps endormi du gros machin...
         - Une autre idée? demanda Oldi. Non, s'autorépondit-il. Allez, viens, il faut faire vite!

         Tous deux partirent à toute vitesse, faisant à l'envers tous les corridors qu'ils avaient emprunté(11), jusqu'à la dépouille non mortelle de Taba le colosse. Celui-ci était toujours inerte. Pour preuve: il ronflait. Couché sur le ventre, allongé dans le vin, sa respiration bruyante créait à chaque expiration une dizaine de petites bulles rougeâtres. Le spectacle aurait presque été drôle si la chose n'avait pas eu tendance à devenir psychopathe une fois sortie des bras de Morphée. Sur la poche de sa fesse droite, se découpait sous le tissu effiloché une forme irrégulière. Celle d'une énorme clé de métal.

         - Je ne touche PAS à ça, dit Kaito avant qu'Oldi ait pu lui poser la moindre question. C'est antihygiénique!
         - J'ai une idée! s'exclama Oldi. On fait ça à pierre-feuille-cis...
         - NON, coupa Kaito. Pile ou face. Définitivement, pile ou face.

         Kaito sortit une pièce d'un euro de sa poche (pièce qu'Oldi examina, étant très soupçonneux), puis la posa sur son pouce, son index prêt à expulser la petite monnaie. Kaito choisit pile, et Oldi, pour ne pas perdre la face, la choisit. Kaito fit s'envoler la pièce... puis la rata au moment de la récupération. La monnaie s'enfonça dans le vin poisseux avec un triste "bloub".

         - D'accord, d'accord! trancha Oldi, sachant pertinemment qu'ils ne disposaient pas de beaucoup de temps et que retrouver la pièce dans cette mare visqueuse demanderait au moins une décade, j'y vais! Mais si on s'en sort, tu me le revaudras, c'est moi qui te le dis. Et ça te coûtera plus qu'un simple euro...

         Kaito, courageusement, alla encourager son ami d'une quinzaine de mètres plus loin. Oldi s'approcha prudemment de la montagne ronflante, marchant sur la pointe des pieds dans la flaque de vin entourant le colosse. Il se trouvait à présent au niveau des troncs d'arbres couverts de tissu qu'on serait vaguement tenté d'appeler "jambes". Là, tout près, la clé lui tendait ses dents. Oldi, surmontant sa peur et son dégoût, tendit le bras avec la lenteur d'un aï et fourra sa main dans la poche postérieure du machin affalé. Tentant de ne pas penser à ce qui se dissimulait sous ces quelques millimètres de tissu fragile, il palpa de plus en plus profond... soudain, un objet froid: la clé.

         Cherchant à tâtons une bonne prise sur la chose métallique, Oldi parvint à l'agripper de manière (à peu près) stable. Il restait à récupérer cette fameuse clé sans que Goliath ci-gîsant ne se réveille. La tension dans l'air était palpable, on aurait pu s'y cogner... avec pour seul fond sonore les ronflements du géant et les battements de son propre coeur, Oldi, millimètre par millimètre, retira avec une délicatesse de xylophoniste l'objet tant convointé. Plus que quelques centimètres... un centimètre... plus rien.

         Victoire! La clé était à l'air libre! Oldi brandit son trophée en direction de Kaito avec un sourire de vendeur Darty, mais assez curieusement, son compagnon semblait ne pas partager son allégresse. Pour tout dire, Kaito avait les yeux aussi écarquillés que ceux d'une chouette cocaïnomane, et regardait en direction d'Oldi en tremblotant.

         Oldi comprit bien vite pourquoi. Il ne percevait que les battements de son propre coeur... et plus du tout les ronflements de Tapa. Pour la simple et bonne raison que celui-ci était réveillé. A moitié dans les pommes (et le raisin), il se réveillait néanmoins; il tourné sa tête et regardait Oldi d'un regard de tigre du Bengale. Il émit un grognement.

         Puis, sans prévenir, il tendit le bras et tenta d'attraper Oldi! Celui-ci, par miracle, parvint à éviter le membre-piège en effectuant un saut de côté. Taba était, contre toute probabilité, en bonne santé, et, en accord avec toute probabilité, très en colère. Il tenta péniblement de se relever, mais dans cette pièce transformée en piscine pour ivrogne, cela lui était pour le moins difficile... profitant de ce répit inespéré, Kaito et Oldi foncèrent dans les couloirs! Pas de temps à perdre! Ils avaient vu Taba à l'oeuvre: les choses sur cette Terre capable de le stopper devaient se compter sur une main d'une de ses victimes. Il ne fallait pas traîner.

         - GROAAAAAAAAAAAAAAAR!!! hurla Taba en furie.

         Il était indispensable à leur survie qu'Oldi et Kaito arrivent à la porte avant le géant. S'il les ratrappait avant... ils préféraient ne même pas y penser. Mais un autre problème attendait les compères: alors que, haletants avec leur précieux chargement, ils venaient de rejoindre l'intersection où s'ouvrait le couloir menant à la fameuse porte verrouillée...

         - LES FOILA! hurla le patron du Poussin éviscéré, accompagné de ses sbires à épées multi. Che fous afais pien tit qu'ils étaient encore tetans!
         - Regartez, ils ont la clé! cria un autre Trouperdois.

         Oldi et Kaito, paniqués, accélérèrent encore en direction de la porte de sortie. Heureusement, gênés par leur attirail, les Trouperdois se traînaient lamentablement; mais il était inutile de se réjouir pour autant car, du fond du couloir menant au château, des pas lourds à déraciner des réverbères résonnaient: Taba s'était relevé, et avait visiblement repris du poil de la -c'est le cas de le dire- bête! Après des mètres qui leur semblèrent des années-lumière, le duo arriva à la porte close. La main tremblante, Oldi plaça la clé dans la serrure et la tourna... elle résistait... ils s'y mirent à deux... miracle: la porte s'ouvrit!

         Mais derrière eux, une horde hystérique venait d'apparaître: un groupe de Trouperdois dont la moitié de la masse musculaire était réunie dans un seul de ses membres venait de jaillir du fond du couloir, vision apocalyptique et hurlante toute droit sortie du Pandémonium! Kaito passa la porte en premier, emportant la clé au passage, Oldi le suivit et, une fois de l'autre côté, claqua la porte. Dans le tunnel, les gueux en furie ne devaient être qu'à quelques mètres de l'huis... Kaito lança la clé à son compagnon...

         Et, avant l'instant fatidique, Oldi clôt la serrure.

         Contre l'huis, Taba tapa, de toutes ses forces. La porte était solide (étant donné que son propriétaire ne connaissait pas franchement la notion de douceur), mais face à une centaine de kilos de viande hystérique, elle ne ferait pas long feu. Oldi et Kaito soufflèrent un instant, puis, haletants et pleins de sueur, montèrent quatre à quatre l'escalier gondolé qui s'offait à eux.

         Ils aboutirent dans une cabane de jardin aux dimensions d'une chambre d'ami, d'un ami très cher. A l'extérieur, enfin, l'air libre... une petite place, recouverte de pavés grossiers taillés à la serpe et envahis d'herbes folles. Sur un des murs de briques cernant l'endroit, des traces rougeâtres suspectes. Le jardin de Taba, sans aucun doute. Oldi, observant le paysage réduit qui s'offrait à lui, tiqua; quelque chose le dérangeait. Etait-il, avec Kaito, resté dans ces souterrains durant toute une journée? La place baignait dans une lueur crépusculaire... Oldi jeta un coup d'oeil éphémère à sa montre: il n'était même pas midi.

         Lui et Kaito levèrent lentement les yeux au ciel. La lueur de DI-NI-KET 07111988, l'astéroïde meurtrier, emplissait toute la région de ses rayons orangés. Le point lumineux en lui-même avait triplé de taille depuis l'aube, comme un deuxième soleil; tout indiquait que la collision stellaire était imminente. Oldi et Kaito acquiéscèrent d'un regard: ils allaient devoir être très véloces pour achever le rituel. En espérant que personne au château du mage Hédépargne n'ait touché à la potion ou au grimoire...

         En se servant d'une charrue moussue comme piédestal, les compagnons escaladèrent le mur d'enceinte de la triste cour, pour atterrir dans une des rues atrocement pavées de Trouperdu. Il fallait dans les délais les plus brefs trouver la place du village où siégait la dodécapotence, et donc la troisième gaïere. Ils coururent.

         A gauche... une autre rue. A droite! Toujours une de ces atroces et vides ruelles. Gauche? Droite? Gauche! Un passage serré... un passage sous une arche ancienne...

         Et, soudain, au sortir d'une ruelle humide, un grand espace, baignant dans la lueur apocalyptique de l'astéroïde. A droite, l'objet tant convoité: la dodécapotence. Et, dans la rue à l'autre extrémité de la place, une colonne de plus d'une centaine de Trouperdois, avec Thymmilou à sa tête.

         - LES VOILA! hurla Thymmilou en montrant le duo d'un doigt d'inquisiteur. Attrapez-les! Et vite!

         La foule de croquants poussa un hurlement collectif bestial et galopa de tous ses sabots en direction de leurs deux cibles touristesques. Oldi et Kaito utilisèrent leurs dernières forces pour entamer cet ultime sprint en direction de l'engin de mort. Indifférents aux cris derrière eux, indifférents à leurs muscles qui demandaient grâce, indifférents à la lueur surnaturelle qui grossissait dans le ciel, ils approchaient de la chose assassine... au fur et à mesure que la dodécapotence venait à leur rencontre, ils distinguaient plus clairement les détails des pierres composant sa base... l'une d'elles se différenciait des autres... la gaïere. Les poursuivants étaient proches... mais c'était jouable.

         - Et si jamais, dit Kaito entre deux halètements, le fait de déplacer la gaïere avait... une incidence sur le bon déroulement du sortilège?
         - On va le savoir tout de suite, rétorqua Oldi en essuyant la transpiration de son visage.

         Oldi jeta un dernier coup d'oeil rapide à la masse flamboyante qui empourprait le ciel, aux Trouperdois en furie à quelques mètres, et sauta sur la stèle.



         Le sortilège fonctionnera-t'il? Oldi et Kaito arriveront-ils à s'en tirer? Vous le saurez en lisant le dernier chapitre de l'histoire du livre Hédépargne, en ligne dans une semaine sur Oldi Land! Soyez prêts!

     

     

     

    (9) Taba est son vrai nom, "Tapa" étant celui-ci prononcé avec l'accent Trouperdois. Au cas où un doute subsisterait, et pour que vous ne manquiez pas un calembour atroce imminent.

    (10) Calembour atroce cité dans la note précédente ("le passage à Taba", ha ha!). Euh, bon.

    (11) ce qui donne: "étnurpme tneiava sli'uq srodirroc esl suot".


  • Commentaires

    1
    Kaito
    Jeudi 30 Juillet 2009 à 01:21
    BWAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA XD !!!!
    EXCELLENT !!! GENIALLISIME !!! MYTHIQUE !!! INGENUEUX !!! DELIRANT !!! EN UN MOT QUI SUIT LES AUTRES : PARFAIT !!! Purée, ça fait du bien, ya pas à dire X3 au moins, on en aura eu pour notre patience... mainenant j'espère juste que tu vas pas te louper... une semaine, n'oublies pas... le 8 août, sans faute... ou sinon... couic !
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    2
    Jeudi 30 Juillet 2009 à 12:51
    Merci, merci ^^
    Et, euh... ce sera inutile de "couicer" ^^ (j'espère... euh, nan, j'ai rien dit)
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