• Retour à Trouperdu

    RESUME DES EPISODES PRECEDENTS:

    Ca y est! Oldi et Kaito ont tous les ingrédients. Reste plus qu'à se rendre au château du mage Hédépargne pour y préparer la potion. Mais... où se trouve donc ce château?

     


     

         TROUPERDU.

         Petit village pittoresque, situé au centre de la zone triangulaire que forment les hameaux de Diablevauvert, Boudumonde et Trifouillis-les-oies. Bien que méconnu, Trouperdu n'en reste pas moins une charmante bourgade méritant largement d'être connue du grand public. En effet, comment ne pas fondre pour ses maisons médiévales typiques, son climat voluptueux et ses habitants sympathiques? Venez à Trouperdu, vous ne le regretterez pas!


         Kaito referma son guide touristique.

         - Hé bien, dit-il, ce petit village de rien du tout ne m'a pas l'air si dangereux que ça... malgré ce que tu as pu raconter. Tu sais, quand on écrit un blog, on exagère beaucoup...
         - Tu crois que je mens, c'est ça? répondit Oldi avec une intonation de voix qui en disait long sur son état d'esprit.

         Le dit Oldi regarda dans les yeux son compagnon d'un air de reproche très marqué, poussa un soupir et saisit la paire de jumelles qui, depuis un moment déjà, trônait sur un bloc granitique à portée de son bras. Voilà une petite heure que les compères avaient élu domicile entre deux buissons, cinq arbres et quelques ex-poteaux de clôture moussus, au sommet d'une colline à proximité du village qu'Oldi ne connaissait que trop bien... en face de lui, tout en bas, trônait l'abominable bourgade, et, très loin, perché au sommet d'un sinistre piton, se découpait sur le ciel ennuagé la silhouette du castel du mage Hédépargne - la destination finale de leur aventure.

         - Je te signale quand même, reprit Oldi en minaudant, qu'en bas de ton fameux guide touristique, il est écrit que cet article a été écrit par le maire du village lui-même! Quelle objectivité! Si tu veux, je te fais l'article en version corrigée: Trouperdu est un bled abominable, qui est certes relativement agréable à l'oeil au niveau architectural, mais qui souffre de la présence permanente d'une populace abrutie. Venez découvrir la seule ville du pays où s'applique encore la peine de mort, du fait que tous les émissaires gouvernementaux ayant tenté de raisonner les riverains ont fini renvoyés à la capitale par petits colis! Appréciez nos traditions, comme celle de pendre les touristes! Venez à Trouperdu, vous ne le regretterez pas... après. Tiens, je vois que tu es dubitatif, alors prends-moi ça et lorgne un peu la place du village.

         Kaito happa la paire de jumelles tendue par Oldi et s'exécuta. Bien qu'éloigné, il était impossible de se tromper quand à l'exacte nature de l'étrange objet siégeant au centre de l'esplanade: la dodécapotence(1).

         - Un endroit horrible, reprit Oldi, histoire que son maigre auditoire finisse par être convaincu par l'atrocité du lieu. Un village peuplé par des habitants si primitifs que si Darwin en avait eu connaissance, il aurait hésité longtemps avant de parler d'"évolution"... des moeurs de sauvages obscurantistes qui n'ont pas progressé d'un orteil  depuis une douzaine de siècles, des coutumes idiotes régies par les plus primaires des pulsions humaines! Et, pour parfaire le tableau de ces habitants, ajoutons à cela un physique ingrat, un sens de l'hygiène douteux et un accent plus caricatural que les intonations germaniques de Papy fait de la résistance... accent que, par ailleurs, nous devrons parfaitement imiter au cas où un funeste destin nous obligerait à nouer la conversation avec des autochtones!
         - Mais, contesta Kaito avec un certain bon sens, pourquoi se fatiguer? On ne pourrait pas simplement le contourner, ce vil village?
         - Hélas! Non. Vois-tu, expliqua Oldi en montrant du doigt la forteresse médiévale, là-bas, c'est le château du mage Hédépargne, auteur du livre du même nom, l'endroit où on doit préparer notre potion. Comme beaucoup de châteaux de cette époque, il a fini par être abandonné et les populations locales en ont récupéré les briques, histoire de construire leurs petites maisonnettes... sauf qu'ici, les habitants du village de Trouperdu étant déjà, à l'époque, complètement crétins, les premiers éléments de construction qu'ils ont récupéré étaient... ceux du pont d'accès! Résultat: ils ne pouvaient plus accéder au reste du château, et comme celui-ci était protégé par une falaise à pic, il est resté tel quel depuis. La bonne nouvelle, c'est que, comme cette forteresse est en relativement bon état, on n'aura pas trop de mal à accomplir le rituel une fois là-bas.
         - Si on y arrive! répliqua Kaito, qui lorgnait une fois de plus vers la dodécapotence. Quelque chose le turlupinait, mais la distance l'empêchait de voir quel était ce petit détail anormal qui l'enquiquinait malgré lui...
         - Oui, on y arrivera! répliqua sèchement Oldi. Tu ne m'as pas laissé finir... quelques années plus tard, l'aubergiste de la pire taverne du village mourut tragiquement, agressé par un client acariâtre auquel il avait servi une bière à la composition douteuse. Avant de passer l'arme à gauche à la suite de ses blessures, il écrivit un testament dans lequel il révélait qu'il existait un passage secret reliant la cave de son auberge et le château d'Hédépargne. Ce passage avait été construit par le mage lui-même, estimant à juste titre que c'était une excellente cachette: en effet, l'auberge étant immonde, personne ne songerait à s'y attarder... bref, grâce aux indications du testament, ce passage a fini par être découvert, et il est encore utilisé, par les... hum, couples de Trouperdois désirant un rien d'intimité. Mais c'est un passage tranquille, peu fréquenté par les touristes qui, de toute manière, finissent à l'échafaud avant de pouvoir commander ne serait-ce qu'un glaçon de coca-cola. C'est par là qu'on doit passer! Bon, tout est prêt?

         Kaito approuva d'un signe de tête. Dans un gros sac en toile qu'il venait de hisser sur son dos se trouvaient, bien protégés: le grimoire maudit responsable de la damnation météoritique, le second ouvrage récupéré à Alyneha-sur-Pahragraf, le bolet Rodravel, la poudre d'os de boîte crânienne de cyclope méditerranéen, les autres ingrédients nécessaires à la potion, ainsi qu'une petite marmite et divers ustensiles de cuisine pour la préparation du breuvage. De la main gauche, Kaito ajusta le bagage sur son épaule, tandis que de la droite, il colla sous son appendice nasal une des fausses moustaches que lui et son compagnon avaient acquis tantôt dans une boutique de la bourgade voisine de Diablevauvert.

         - C'est vraiment nécessaire, ces moustaches?! demanda Kaito dont l'artifice poilu sub-nasal lui donnait fortement envie d'expédier illico presto ses morves alentours. Ca me chatouille!
         - Pas le choix, lui attesta Oldi, qui venait lui aussi d'enfiler son déguisement raffiné. Encore, toi, c'est pas grave, mais imagine qu'ils me reconnaissent, moi! Ils m'exécuteraient avec des raffinements de cruauté! Malheureusement, nous n'avons plus beaucoup de temps, nous ne pouvons pas nous permettre de chercher plus sophistiqué; il n'y a qu'à espérer que cette fausse pillosité et la différence d'âge depuis ma dernière visite suffiront à les induire en erreur. Pourvu que ces Trouperdois ne soient pas physionomistes! Enfin, voyons les choses du bon côté: la dernière fois, ils m'ont, heu... surtout vu de dos. Ah, oui, et n'oublie pas l'accent!
         - Che fais echayer te faire tout mon pochible, rétorqua Kaito en tordant la bouche au risque de faire tomber sa moustache et en remuant les épaules comme un haltérophile, attitude clownesque destinée à détendre quelque peu l'atmosphère.

         Oldi esquissa un sourire dessous sa demi-lune velue, puis se retourna pour observer le village cauchemardesque. Il prit une grande inspiration, s'imaginant vieillard devant un gâteau planté de quatre-vingt bougies, puis s'engagea sur le petit sentier menant à la bourgade, suivi de son compagnon ballot(2).

         Le village de Trouperdu n'ayant guère, architecturalement et moralement, évolué au cours des derniers lustres(3), inutile de dire que les rues du village étaient identiques aux souvenirs d'Oldi, qui d'ailleurs revoyait ces allées dans tous ses cauchemars depuis une semaine environ. Seule modification: le temps grisâtre rendait la bourgade plus inquiétante que jamais. Les avenues pavées du lieu, entrecroisées anarchiquement, étaient quasiment vides de toute présence (in)humaine; seules quelques ombres spectrales déambulaient silencieusement dans les rues, arborant un air abruti à mi-chemin entre le gueux analphabète natif du Texas et le lobotomisé fraîchement sorti de la clinique. Le duo travesti marchait silencieusement, surveillant le plus insignifiant de leurs spasmes musculaires, guettant de près le moindre courant d'air impromptu susceptible d'envoyer choir leur postiche facial, et épiant discrètement les rares badauds, à la recherche du plus anodin mouvement étrange qui serait synonyme pour eux de retraite anticipée. Heureusement, le moral miné par le climat maussade, les riverains neurasthéniques ne leur accordaient guère d'attention; pour tout dire, nos deux héros et les populaces locales s'ignoraient encore plus qu'un maghrébin et Jean-Marie le Pen se soulageant côte à côte dans un urinoir public. Les compagnons purent alors adopter une démarche plus détendue, démarche qui s'accéléra toutefois lorsqu'ils passèrent à côté de la dodécapotence, engin barbare et rétrograde auquel ils n'accordèrent pas le moindre mouvement oculaire pour des raisons aisément compréhensibles. Traversant la place principale du village, ils prirent une dernière fois leur inspiration avant d'entrer dans l'auberge convoitée, Au poussin éviscéré.

         Epouvantable monstruosité. L'intérieur de l'auberge était si incroyablement répugnant qu'Oldi et Kaito en vinrent presque à regretter le wagon privé de London Mercury. Nul doute que l'infâme gargote tenait à sa réputation! D'un intérieur cra-cra aux nuances oscillant avec peu d'allégresse entre le brun bouseux et le vert waffen ss, la pièce principale baignait dans un brouillard grisâtre aux relents douteux, brume qui, hélas! malgré son opacité, ne masquait guère les détails de la salle. Réparties anarchiquement et faisant fi de tout sens de l'esthétisme, de tristes tables encrassées se répartissaient dans l'antichambre, si usées et abîmées que même un menuisier expert serait bien en peine de déterminer leur forme d'origine. Chacune de ces tables crasseuses était entourée par un quatuor de chaises assorties, et ornée d'un petit vase ocre rempli de fleurs depuis longtemps décédées. Chaque pas d'un des touristes déguisés soulevait un nuage de poussières, qui lui-même soulevait le coeur... sur les murs nus pullulaient des moisissures suspectes, et des colonies de bactéries en tous genres, si anciennes que certaines donnaient l'impression de bientôt inventer la roue et, entre des poutres du plafond, se répartissaient quelques nids d'hirondelles masochistes, anosmiques ou trépassées. Enfin, détail science-fictionnesque, des humains, ou du moins ce qui s'en rapprochait vaguement, occupaient le lieu. Une petite demi-douzaine, attablés aux différents meubles, et lorgnant le duo du regard torve du membre du Ku-Klux-Klan devant Obama en meeting, revêtus de loques s'accordant on ne peut mieux à l'ambiance du lieu, et tenant dans leurs mains, probablement collantes, des chopes inélégantes au contenu douteux. Au fond de la pièce, mollement accoudé à une masse maronnâtre et chuintante s'apparentant confusément à un comptoir, un homme que son tablier troué permettait d'identifier comme étant le gérant de la gargote. Ressemblant vaguement à Monsieur Propre si celui-ci s'était mis à boire, mais nanti d'une moustache à faire défaillir toutes les soupes du monde, le barman dégageait de loin une odeur pestilentielle, mélange peu ragoûtant d'alcools divers, de transpiration et d'autres émanations corporelles sur lesquelles il serait nauséeux de s'attarder; une puanteur telle que l'on puisse s'étonner que l'individu n'ait pas déjà été incarcéré pour fragrant délit. Surmontant leur répulsion fort compréhensible, Oldi et Kaito se dirgèrent d'un pas assuré vers le fétide commerçant.

         - Ponchour, mon fieux! cria joyeusement Oldi, maîtrisant fort bien l'abominable accent local. Teux pières!
         - Te la Troupertu chpéchiale, che chuppoche? rétorqua le barman d'un air légèrement hautain.

         Il renifla bruyamment, se retourna, saisit deux chopes qu'il avait dissimulées sous un torchon sale, et les plaça sous une machine aux formes indistinctes. Il pressa un levier rouillé, et du liquide genre douteux en jaillit pour aller se nicher dans les chopes avec force éclaboussures. La couleur du breuvage ne manqua pas d'inquiéter fortement le duo, s'imaginant déjà avec leurs intestins révisant les noeuds marins.

         - Et foilà! dit le barman en posant virilement le duo de chopes devant les compagnons.

         Des bulles verdâtres s'échappèrent de la surface du breuvage. Une des bulles éclata au visage d'Oldi et lui épila le sourcil droit.

         - Merc... chi, répondit Oldi, si pris dans ses désagréables pensées culinaires qu'il en oublia un instant son accent.

         Kaito tiqua... le barman également.

         - Moui, finit-il par lâcher platement. Tites-moi... che ne fous ai pas fus choufent, fous? Qui êtes-fous?
         - Nous chommes... les enfants tu fieux Fictor, improvisa Oldi, espérant qu'il existe un Victor dans ce village.

         Heureusement, cela semblait être le cas. Il continua donc:

         - On était partis en foyache, foir le rechte tu monte... on fient te refenir... alors, éfitemment, les hapitutes...
         - Ah, t'accord, répondit le gérant. Puis, changeant de sujet: Pufez tonc, foyons! Elles font che réchauffer!

         Incapables de faire marche arrière, les compagnons portèrent les chopes à leur orifice buccal et, ne voulant faire mauvaise figure, y déversèrent son contenu pestilentiel. Regrettable erreur. Ils eurent aussitôt l'impression qu'un combat de bulldozers avait commencé sur leur langue... effroyable boisson que même les pires usines chinoises refuseraient de fabriquer pour non-respect des mesures d'hygiène. Haletant comme une paire de chevaux après une course hippique, les survivants reposèrent leurs chopes brusquement sur le comptoir, n'ayant qu'une idée en tête: se placer d'eux-mêmes sur l'estrade de la dodécapotence pour abréger le supplice.

         - Ha, ha! rit le barman. Ch'est chûr, ch'est pas te la petite pière! A la capitale, ils n'en font pas te pareilles, hein? Ho ho ho! Et rappelez-fous! La coutume feut qu'on poife toute sa chope en teux gorchées cheulement!(4)
         - Chertes, dit Oldi que son cerveau, en accord avec son tube digestif, suggérait de passer directement à l'essentiel. Tites-moi, dit-il entre deux halètements, nous afons rentez-fous... fous me comprenez! Nous foutrions foir le pachache checret entre l'auperche et le château!
         - Hé, pas fous teux, quand même! Pas te cochonneries ichi!

         Barbares, rétrogrades, et maintenant homophobes: les habitants de ce village avaient décidément bien besoin d'une ou deux torgnoles pédestres dans l'amour-propre.

         Notons au passage que Kaito avait profité de cette conversation pour répandre discrètement le contenu de sa chope sur le sol. Une colonie de bactéries qui venait d'inventer le principe de l'agriculture fut décimée en une fraction de seconde.

         - Noooon, répliqua le dit Kaito qui venait de récupérer l'usage de ses cordes vocales. Elles arriferont plus tard... mais on v... foudrait tout préparer pour leur fenue! La préjentachion, ch'est e-chen-chiel! Técorachions et tout le tralala, dit-il en montrant l'imposant sac de toile qu'il avait déposé derrière lui. Hichtoire te mettre te l'ampianche! Ch'est in-dich-pen-chaple pour nouer une ponne relachion!
         - Là, t'accord, acquiesça le barman. Che feux bien, mais che tois retroufer la clé tu pachache. Ch'est la porte, là, dit-il en montrant de son doigt bouffi une anfractuosité de l'arrière-salle. Cha fa être coton! Che fous temanterai chuchte teux ou trois minutes... en attentant, cha fera quinje euros. Chacun... les prix ont monté tepuis la ternière fois. Ch'est la crije!

         N'ayant guère le temps de protester contre ce prix prohibitif, les compagnons mirent la main à la poche. Kaito, ayant pris l'habitude paranoïaque de se retourner chaque fois qu'il désirait payer quelque chose histoire de repérer un éventuel voleur, fit demi-tour un bref instant. Il stoppa. A travers les carreaux de l'auberge recouverts d'une peu ragoûtante couche de chiures de mouches, il venait de découvrir ce qui le gênait dans la dodécapotence précédemment entraperçue.

         Un homme y était attaché.

         Kaito donna un coup de coude à son compagnon qui, voyant à son tour la victime des villageois barbares, écarquilla les yeux d'épouvante. Donnant ses gages au barman, il lui posa la question qui s'imposait...

         - Qui est-che? Che monchieur, là, attaché à la totécapotenche...
         - Oh, lui? Ch'est notre dernier tourichte! Comme les autres, il n'a pas foulu che plier aux coutumes locales... tant pis pour lui! Cha pentaijon aura lieu che choir, pour notre fête annuelle te l'agneau tépuchelé. Fous fientrez, ch'echpère? Ichi, on aime le rechpect tes coutumes!
         - Ducon, marmonna Oldi. Puis, d'une manière plus audible: On echayera! Chi on a fini nos préparatifs!
         - A la ponne heure! chantonna le barman. Pon, ch'est pas tout, che tois troufer ma clé... che refiens tans chinq minutes!

    Une fois le gérant disparu dans les miasmes de l'arrière-boutique, Kaito agrippa Oldi pour lui parler (sans accent si possible) à l'abri des oreilles indiscrètes.

         - Il faut le sauver!
         - T'es malade! rétorqua Oldi. C'est pas le moment! Si on nous voit en train de libérer le prisonnier, on sera repérés sur-le-champ et on aura nous aussi droit à un collier en chanvre! On le récupèrera plus tard!
         - Quand? C'est ce soir qu'on lui passe la cordelette au gosier! Profitons-en tant que le temps est encore moche et que personne ne traîne dans les rues! Et puis, le barman nous laisse un répit de par son absence. Tu as bien vu, cette auberge, c'est un dépotoir innommable, que Dieu me tripote s'il arrive à retrouver sa fichue clé dans le quart d'heure!

         Oldi grogna, puis, baissant la tête en soupirant, finit par acquiescer, sa bonne conscience et son éducation exemplaire ayant eu raison de la plus élémentaire prudence. Les déguisés sortirent de l'auberge en courant, se dirigeant vers l'atroce engin, puis agrippèrent le pauvre homme victime de l'obscurantisme; il ne bougeait guère, et avait les cheveux collés sur le visage par la sueur, visiblement épuisé par une longue lutte.

         - Pas un mot! dit Oldi alors que la loque humaine levait péniblement la tête, apparamment surprise par cette aide impromptue. On va vous libérer, précisa-t'il, voyant avec soulagement que la corde retenant le malheureux touriste captif était facilement dénouable.
         - Dès que vous serez libre, continua Kaito, taillez-vous! Partez le plus vite possible, sans poser de questions!

         Après quinze secondes de lutte à peine acharnée, la ficelle artisanale se dénoua et le prisonnier, libre, se releva de tout son long. D'un geste étrange, similaire à ceux de la fillette du Cercle, il réarrangea la masse de cheveux qui lui masquait le visage, histoire d'y voir un peu plus clair. Oldi, curieusement, eut l'impression d'avoir déjà vu cet homme...

         Des mots, en flashs désordonnés, lui revinrent à l'esprit. Nuit... nuit sombre. Musée. Maison? Mer. Bazooka.

         Bazooka?

         - Oh non, dirent en choeur Oldi et Kaito.

         - VOUS! hurla Augustin Thymmilou (car, oui, c'était lui), revigoré par une brusque montée d'adrénaline. JE LE SAVAIS! MES RENSEIGNEMENTS ETAIENT JUSTES!!!! Voleurs! A présent, rendez-les moi! RENDEZ-MOI MES OBJETS D'ART!!! beugla frénétiquement le milliardaire, saisissant la corde qui avait servi à le tenir captif, avec l'évidente intention de pratiquer la strangulation sur ses sauveurs inespérés!

         Il se jeta sur eux avec la bave aux lèvres mais, ces dernières heures de captivité l'ayant fortement épuisé, ses jambes tremblotantes vacillèrent et il finit par choir de tout son long sur les pavés chuintants du village... profitant de ce répit inespéré, Oldi et Kaito firent demi-tour sans se poser de questions et foncèrent en direction du bar, bientôt poursuivis par le milliardaire hystérique!

         - Ah, la poisse! Pas le choix, dit Oldi rentrant comme une furie dans le bar poisseux, ce n'est pas très noble mais bon... ALERTE ROUCHE! cria-t'il aux populaces alcooliques de la taverne, LE TOURICHTE CH'EST ECHAPPE!

         Les loques humaines sortirent brutalement de leur amorphisme éthéré pour foncer dehors rattraper leur proie! Celle-ci, fort peu encline à mener un nouvel assaut physique, fut maîtrisée par trois hommes seulement et en quelques secondes, à la grande déception des gueux n'ayant été assez véloces pour participer à la récupération. Décidément, les touristes semblaient être rares ici... on se demande pourquoi.

         - MAIS NON, BANDE D'ABRUTIS! fulmina Augustin Thymmilou, alors traîné comme un sac de patates en direction de la dodécapotence qu'il venait à peine de quitter. Ce sont EUX que vous devez capturer! Oldi et Kaito! Ce sont des voleurs!
         - Oldi?! dit le barman qui venait de ressortir de l'arrière-boutique, une clé de bronze à la main. Ch'ai téchà ententu che nom!

         Oldi, comprit vite que s'attarder était une très, très mauvaise idée... Sans laisser plus de temps pour cogiter au tavernier hygiéniquement incorrect, il lui bondit dessus et lui arracha la clé des mains! Courant vers l'arrière-boutique avec son précieux objet, suivi de Kaito et son bagage, il se dirigea droit vers la petite porte que le gérant de la taverne lui avait précédemment désignée. Les populaces restantes, regaillardies et ayant compris qu'il y avait anguille sous roche, se mirent à poursuivre les fugitifs à présent démasqués!

         Oldi s'engouffra dans l'anfractuosité; après un virage étroit se découpait une porte de chêne antédiluvienne, à moitié recouverte de champignons divers et variés. Y fourrant la clé en quatrième vitesse, il déverrouilla l'huis et s'engouffra dans le souterrain, suivi de près par Kaito... il eut tout juste le temps de claquer la porte au nez des gueux hurlants, et de la verrouiller solidement. Inutile de dire que, de l'autre côté, les pouilleux fulminaient! Décidant de ne pas s'attarder, le duo s'engouffra dans les souterrains champignonneux, dans lesquels une âme intelligente avait heureusement installé l'électricité(5).

         Après avoir traversé dans une obscurité néonnée diverses salles à l'architecture austère mais solide, aux relents de moisissure et d'humidité, ils parvinrent finalement à un escalier en spirale. Une construction d'un âge indéiterminé, d'une hauteur difficile à définir, aux marches raides et rendues légèrement glissantes par des siècles d'infiltrations(6). Puis, après leur interminable ascension, ils accédèrent à une trappe horizontale, l'ouvrirent et, enfin, entrèrent triomphalement dans l'enceinte du château.

         Tout comme ils l'avaient entendu dire, le castel était, malgré son âge acceptable, en fort bon état. Mis à part la végétation particulièrement présente, il semblait presque habitable, et seule l'absence marquante de toits, rambardes et autres éléments de bois trahissait l'âge vénérable des lieux. Oldi et Kaito se regardèrent. Pas de doute, ils y étaient.

         L'étape finale de leur aventure.

         Ils condamnèrent l'entrée de la trappe, disposant en vrac quelques lourdes caillasses sur ses vénérables planches, et s'accordèrent une pause de dix minutes, étendus sur l'herbe, leur fausse moustache à présent inutile emportée par le vent.

         Regardant ce ciel, qui, bientôt, ne serait plus un danger.

         - Bien, dit Oldi, se relevant. Ne perdons plus de temps, et levons cette malédiction une fois pour toutes! D'après le grimoire, nous devons en premier lieu repérer les trois "gaïeres"; ce sont des sortes de... stèles magiques, conçues par feu Hédépargne pour sublimer l'effet de ses sortilèges. La première est conçue pour y verser la potion, la deuxième pour accueillir le livre Hédépargne que nous devrons placer dans un logement prévu à cet effet(7), et la troisième, est faite pour... moi. Je devrai me mettre debout dessus, et une fois ces trois éléments mis en place, la malédiction sera levée! Première chose à faire: retrouver ces stèles, disposées dans le château. Elles ressemblent, euh... comment dire?
         - Ce ne serait pas ça? dit Kaito, désignant du doigt une des murailles du fort.

         Sur la dite muraille trônait, entre deux créneaux, un parpaing qui se différenciait des autres de par ses riches décorations. Son sommet, creux, était sans doute aucun destiné à recevoir la potion.

         - Bien vu, dit avec admiration Oldi. Comment tu as deviné?
         - Je ne sais pas, répondit Kaito... une intuition. Bon, recherchons les deux autres!

         Les compagnons se séparèrent. Dix minutes plus tard, Oldi trouva le second, destiné au livre Hédépargne, sur un balcon à moitié démoli du donjon. Mais, hélas! Une heure plus tard, après avoir exploré la bâtisse de fond en combles, il durent se rendre à l'évidence: la troisième gaïere était introuvable!

         Oldi, soupirant sans retenue, s'assit sur un muret, complètement désemparé... aussi désemparé que Jules César voyant son fils lui planter un poignard dans la cage thoracique... que Lionel Jospin en 2002... aussi désemparé que l'aurait été Adam s'il avait découvert sa stérilité et donc son incapacité totale à fonder the Adam's family! La quasi-loque humaine fut bientôt rejointe par Kaito. Le dit Kaito, lui aussi, était turlupiné... mais pour une autre raison. Une question le taaraudait depuis tantôt: comment avait-il reconnu si vite la gaïere? En avait-il... déjà vu quelque part?

         Soudain, l'illumination. Il se leva brusquement.

         - JE SAIS OU ELLE EST! cria-t'il, tel Archimède dans son bain.

         Puis, se tournant vers Oldi:

         - ...mais, ça ne va pas te plaire. Je l'ai repérée avant...

         Instant de suspense.

         - ...elle est sur la place du village, elle est incluse dans les pierres qui forment la base de la dodécapotence.

     

     

     

     

    (1) Dodécapotence: inventée dans les environs de 1372 par un seigneur particulièrement cruel, cet engin permet de pendre douze personnes en même temps. Tombé en désuétude dès la Renaissance, il n'existe aujourd'hui qu'une dizaine de dodécapotences dans le monde; la plupart trônent dans des musées, seule celle de Trouperdu est encore utilisée, à la grande fierté des gueux autochtones.

    (2) Ballot dans le sens où il se chargeait des bagages. Quoique...

    (3) ...lustres pour habitants bas de plafond.

    (4) car, comme le dit un proverbe local: "Il faut faire t'une pière teux glous"

    (5) Une idée lumineuse.

    (6) C'est un passage secret où il y a eu beaucoup de fuites.

    (7) C'est le livre Hédépargne-logement...

     


  • Commentaires

    1
    Kaito
    Jeudi 16 Avril 2009 à 02:04
    Finalement...
    Je l'ai lu, maintenant lol Dieu me pardonne mon fanatisme... et c'est évidement excellent XD bientôt la fin mais une fin grandiose !!
    2
    Pelinore
    Jeudi 16 Avril 2009 à 18:40
    eh bien !
    beau travail oldi !lol pour la stèle vous êtes mal barrés ^^
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