• RESUME DES EPISODES PRECEDENTS:

    Comme cela était facile à deviner, le T2, tout comme son illustre ancêtre le Titanic, a coulé sans laisser de traces. Heureusement, les techniques de sauvetage ayant évolué depuis 1912, tous les passagers ont pu être sauvés, y compris Oldi et Kaito, qui ont réussi en plus à dérober un rubis dans les cales du navire - rubis, qui, rappelons-le, est le dernier ingrédient rare indispensable à la préparation de la potion qui doit sauver Oldi de la malédiction qui pèse sur lui. Hélas! Une fois les deux compagnons sauvés, il s'est avéré que le "rubis" qu'ils avaient dérobé n'était qu'un faux, une pâle imitation! Ils doivent à présent repartir à la recherche d'une véritable pierre précieuse. Et nul doute que ce ne sera pas facile...

     


     

         - Ce bouclier viking était un trésor inestimable.

         Telle fut la dernière phrase complète prononcée par Matthieu Salémique, présentateur d'émissions de télévision de son état. Ou, du moins, telle fut sa dernière phrase sur l'écran du home cinema d'Augustin Thymmilou, une fraction de seconde avant qu'une télécommande projetée avec rage aille se loger dans l'épaule droite de sa représentation bidimensionnelle.

         Augustin Thymmilou, affalé dans son fauteuil en robe de chambre bordeaux, ronchonnait ferme. Depuis que des intrus avaient pénétré dans sa forteresse et y avaient causé un capharnaüm sans nom, il passait son temps à ruminer, installé sur quelque meuble à coussins, sans rien faire d'autre de son considérable temps libre. Toute la sainte journée, le vieux scrogneugneu grognassait à qui mieux mieux, repensant avec force froncements de sourcils les dégâts dantesques que cette infiltration avait provoqués. Oh! Il est vrai qu'il était lui-même responsable de la plupart des ravages causés lors de cette nuit funeste, mais ça, il aurait préféré aller sur la pelouse de la maison blanche déguisé en Ben Laden plutôt que de le reconnaître. Car non seulement c'était un homme, mais en plus de cela, il était, même selon les normes masculines, particulièrement borné. Pour dire les choses telles qu'elles étaient, Augustin Thymmilou faisait partie de ces personnes qui, lorsqu'elles se prennent un lampadaire dans la figure après avoir déambulé le nez en l'air, insultent la municipalité et accusent EDF de tous les crimes.

         Et la scélératesse du milliardaire n'avait fait que croître depuis la date fatidique du cambriolage. Lui qui, auparavant, était tout simplement exagérément asocial, éprouvait à présent une haine tenace contre tout le reste de l'humanité; une haine qui ressortait sauvagement dès qu'un petit quelque chose faisait remonter en lui la réminiscence du vol de tantôt. Ce qui explique pourquoi son téléviseur devait rendre l'âme: il avait eu le malheur, un instant auparavant, de s'arrêter sur une émission traitant d'archéologie, et, pris d'un subit accès de rage, le ronchon hystérique avait saisi sa télécommande et en avait bombardé cet imbécile de Matthieu Salémique.

         Le dit Matthieu Salémique, pas rancunier pour un sou, décida de partir en toute dignité et de laisser dans la villa d'Augustin Thymmilou, tel les grands compositeurs d'autrefois, une oeuvre inachevée (bien que le vrai Matthieu Salémique soit un véritable ignorant en musique classique, croyant dur comme fer que Beethoven était un nom traditionnel que l'on donnait aux saint-bernards, et que Chopin était l'inventeur de la chopine). Ses dernières paroles furent donc "Cela faisait longtemps que le groupe de scientif...", une demi-phrase on ne peut plus banale, mais que l'attentionné présentateur sublima dans un magnifique spectacle de son et lumière, son habituelle voix de baryton fluctuant allègrement de Mika à Barry White, et son traditionnel et tristounet costume bleu nuit arborant simultanément toutes les nuances possibles du spectre chromatique. Puis, laissant ses paroles en suspens(1), il se tut et laissa le noir total fondre sur lui. Ce mutisme définitif plongea la villa d'Augustin Thymmilou dans un silence de mort, à peine troublé par le doux souffle du vent marin, le murmure de la marée descendante et les glapissements frénétiques provenant d'une bagarre de mouettes en rut.

         Puis, le silence fut tranché net par un petit bruit métallique provenant de l'aspiro-boîte.

         L'aspiro-boîte était à l'origine une invention d'André Franquin dans un album de Gaston Lagaffe, invention qu'un des amis d'Augustin Thymmilou avait concrétisé en guise de cadeau d'anniversaire pour son cher compagnon (le dit ami s'était fait assassiner quelques jours après, mais ça, c'est une autre histoire). Le principe en est simple: il s'agit d'une boîte aux lettres de jardin, percée en son fond d'un tuyau qui aspire le courrier et peut le faire ressortir à l'intérieur de la maison. Conçue à la base pour éviter d'aller chercher le courrier sous les intempéries, Augustin Thymmilou s'en servait surtout pour éviter de croiser ces abrutis de facteurs, toujours prêts à vous vendre des calendriers hideux, ou, pire! tenter de vous faire signer des pétitions débiles à propos d'on-ne-sait-quoi-et-d'ailleurs-on-s'en-tape.

         Le milliardaire se leva lentement, se traîna péniblement vers le bac contenant les paperasses du jour et en fit rapidement le tri. Catastrophe! En premier lieu, ce qui lui déplaisait le plus: des demandes de dons. Demande de dons pour la recherche contre la leucémie... pour quoi faire? Il n'était pas malade! Demande de dons pour les Restos du Coeur... mmmh, il donnerait, peut-être, quand Coluche serait ressuscité. Demande de dons pour la SPA... HA! Ca, c'était la meilleure! Une Société Protectrice des Animaux, non mais j'vous jure! Et pourquoi pas une déclaration universelle des droits de l'Homme, tant qu'on y est?!?! Demande de dons... demande de dons... le journal.

         Aaah, le journal! Joie, béatitude, plénière volupté! Depuis qu'on avait cambriolé sa villa, Augustin Thymmilou éprouvait tellement de haine envers le reste du monde qu'il ressentait un malin plaisir à assister au malheur des autres. Et quoi de mieux qu'une gazette pour juger de la mauvaise fortune d'autrui? A chaque page, ce ne sont que morts, cataclysmes, malheurs et désolation. Si, avant l'incident, le milliardaire ne faisait que survoler négligemment le périodique, ne s'attardant (et encore!) que sur la page des bandes dessinées insignifiantes, à présent, il passait des heures à lire les informations, cherchant ardamment le moindre détail sordide du plus insipide des paragraphes. Il compulsait consciencieusement la rubrique des faits divers, à la recherche de quelque crime; il prenait un malin plaisir à scruter les détails de la rubrique nécrologique; il ricanait sans aucune retenue en lisant les chiffres des attentats en Irak, et il suivait avec intérêt l'évolution de la crise économique mondiale, guettant avec impatience les premières vagues de suicides du haut des buildings new-yorkais. Vraiment, la lecture du journal constituait à peu de chose près la seule occupation qui égayait ses journées de sombres ruminations.

         D'autant plus que l'édition du jour s'annonçait particulièrement palpitante, la une de la gazette étant consacrée à un paquebot qui avait, semble-t'il, sombré en plein milieu de l'Atlantique. Ah, ça se perdait, les bons gros naufrages bien meurtriers, avec l'avènement de ces stupides règles de sécurité... nul doute qu'aujourd'hui, la lecture serait éminemment jouissive! C'est avec béatitude qu'Augustin Thymmilou s'installa tranquillement dans son fauteuil préféré, son mazagran plein à la main, et imaginant avec force ricanements toute la populace du village voisin reposant par mille mètres de fond avec des langoustines leur grignotant les orteils et des anémones dans les globes oculaires.

         Néanmoins(2), le quotidien se révéla plus maussade que prévu. Après avoir survolé l'article, Augustin Thymmilou apprit non sans déception que le naufrage susmentionné n'avait fait que peu de dégâts humains, les secours étant intervenus avec une rapidité exemplaire. Au plus déplorait-on des fractures dues à des bousculades, et deux ou trois hypothermies causées par la fraîcheur nocturne des eaux atlantiques. En fait, si l'accident avait fait la une, c'était plus à cause de son originalité que de ses pertes humaines: le bateau qui avait sombré était, aussi surprenant que cela puisse paraître, une réplique exacte du Titanic, construite pour quelque expérience visant à démontrer que le célèbre navire n'aurait pas pu couler. "C'est incroyable", songea Thymmilou en avalant une gorgée de café brésilien à 1000 euros la tasse, "il y a vraiment des gens qui arrivent à dépenser leur argent pour des futilités". Bah! Au moins, cette une lui avait permis de rigoler un bon coup, non à cause de l'article lui-même (bien que dans celui-ci, quelques fautes d'orthographe comme le remplacement malheureux du "c" par un "que" dans le mot "Titanic" avaient réussi à lui arracher fugitivement un sourire), mais bien grâce à la photographie ornant le dit article, représentant le retour des rescapés sur le plancher des ruminants. Comme ils avaient l'air de se sentir ridicules, tous ces cinglés froufroutants attifés comme au mardi gras, et comme ils devaient se sentir encore plus ridicules en cet instant, voyant leur bobine hagarde s'afficher dans tous les kiosques à journaux de la région!

         Mais, soudain, en plein ricanement, Augustin Thymmilou s'immobilisa.

         Car, là, brunis(3) par la piètre qualité de la photographie mais toutefois bien reconnaissables, deux personnages de l'arrière-plan venaient de capter son attention. Oh! Ils ne payaient pas de mine; habillés aussi ridiculement que la vingtaine d'autres rescapés présents sur l'instantané, et arborant le même air abruti, un peu halluciné. Mais pour Augustin Thymmilou, ces personnages étaient bien plus que des figurants insignifiants sur une photographie jaunâtre. Car c'étaient bien EUX, ceux qui avaient causé un chaos innommable dans sa villa, ceux qu'il croyait morts et enterrés, ceux dont il voyait le visage dans ses cauchemars toutes les nuits...

         - CE SONT EUX!!! hurla Thymmilou, se levant si brusquement qu'il en renversa son café sur son tapis persan. CETTE FOIS, JE NE LES RATERAI PAS!!!

     

     

    (1) certains pensent que le mot inachevé était "scientifiques", mais rien n'est moins sûr.

    (2) ...comme dirait Michael Jackson.

    (3) calembour sarkozyste.


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