• RESUME DES EPISODES PRECEDENTS:

    L'un des ingrédients nécessaires à la potion magique anti-malédiction est de la poudre d'os de boîte crânienne de cyclope méditerranéen. Un ingrédient, comme l'on s'en doute, rarissime, mais heureusement le mage créateur de la potion magique a caché un échantillon de la dite poudre dans un ancien moulin-auberge où il lui arrivait de passer la nuit. Mais le dit moulin a été acheté par un collectionneur et placé dans sa villa ultra surveillée...


     

         Une nuit quasi sans lune avait plongé dans l'obscurité la villa-forteresse d'Augustin Thymmilou. A l'un des derniers étages, une lumière jaunâtre perçant dans le noir ambiant venait de s'éteindre, signe que la fatigue avait eu raison du propriétaire des lieux. A ce moment, deux personnes (que vous devez commencer à reconnaître, depuis le temps) venaient de surgir de l'amas de roches de grès rose derrière lequel elle étaient, depuis plusieurs heures déjà, dissimulées.

         - Ca y est! dit Oldi, guilleret. Il est enfin allé se coucher... nous allons pouvoir passer à l'action. Mais il va falloir être très, très prudents. Vas-y!
         - C'est vrai, je peux, je peux??? chantonna Kaito aussi content que si on venait de lui annoncer la fin conjointe du cancer et du sida.

         Il faut dire aussi qu'il avait de quoi être content: son ami, suite à quelques déboires dans l'hôtel Hephonepleurs, lui avait formellement interdit tout usage de la magie, au nom de tous les rationalistes pour qui son aptitude à jeter des sortilèges était déjà une insulte en soi. Mais devant la villa d'Augustin Thymmilou, encore plus protégée que ne l'était la chapelle Hyéfou, il avait -provisoirement- accordé à son compagnon le droit d'user des livres du mage Hédépargne afin d'entrer dans la forteresse. Kaito, donc, se prépara à passer à l'action: sortilège n°587: comment faire tomber la foudre à un endroit précis par la simple force de la pensée.

         Après l'exécution des rites nécessaires au bon fonctionnement du sortilège(1), le ciel nuageux à la verticale de la forteresse revêtit une allure cotonneuse, plus marquée qu'alentours. Le gris bleuté des cumulus se fondit en un noir sinistre et austère, tandis qu'un grondement sourd pareil à un éboulement s'élevait progressivement du néant embrumé. Et soudainement, un éclair bleuté zébra le ciel, illuminant les environs comme en plein jour, et frappa le sommet de la citadelle insulaire. Puis, le silence. Tandis que le nuage formé par magie se dispersait dans l'air humide, quelques étincelles discrètes, à peine visibles, illuminèrent fugitivement le toit de la titanesque propriété. Soudain, des étincelles plus marquées accompagnées d'un pimpant crépitement volèrent dans les airs, tandis que quelques flammes éphémères commencèrent à jaillir par intermittence de l'appentis du bâtiment, en même temps que quelques vifs craquements sortaient de ses murs, et en même temps que les quelques lumières extérieures présentes un peu partout s'affaiblissaient avant de s'éteindre irrémédiablement. La centrale électrique fournissant le bastion en électricité venait de rendre l'âme.

         - Oui, ça a marché! s'exclama Kaito en retirant le ruban rose à pompons pourpres qu'il avait autour de la taille(2), on a quelques minutes avant qu'il remette tout ce bazar en marche. On y va!

         Aussitôt les deux camarades firent prestement route vers la passerelle bétonnée qui reliait l'île d'Augustin Thymmilou au continent. Grâce à un autre sortilège, ils crochetèrent la serrure(3) et, grâce au sort de foudre jeté tantôt, purent investir la bâtisse sans déclencher le moindre dispositif de sécurité. Il était temps: quelques secondes après l'entrée par effraction, la lumière revint, et avec elle des lasers rouges, bien visibles, qui barraient à présent de leur quadrillage l'accès à la porte d'entrée, ainsi qu'à toutes les fenêtres alentours.

         - On a eu chaud, constata Oldi. Heureusement qu'on a appris que ces dispositifs ne se trouvaient pas à l'intérieur même du bâtiment, mais seulement à ses accès. Aucune alarme ou caméra de surveillance ne pourra nous gêner...
         - Euh, juste une question... pour, hum... ressortir?
         - ... ... ...improvisation.
         - Ca nous a toujours réussi, c'est vrai.

         Comprenant qu'il était inutile de continuer là la conversation(4), les deux compères s'engagèrent dans le couloir qui se présentait à eux. Après quelques petits virages à angle droit, ils se retrouvèrent face à une imposante double porte, en bois de chêne, richement décorée par des ornements de divers métaux précieux et des gravures d'un soin admirable. Aussitôt, sentant qu'ils tenaient le bon bout, ils ouvrirent lentement l'huis... et s'arrêtèrent. Les compères étaient paralysés, ankylosés par l'ébahissement. Devant eux, posés sur des socles de marbre de tailles et de formes diverses et variées, s'étalaient des dizaines, des centaines... des milliers? de squelettes d'animaux, figés par des tiges de métal dans des positions excentriques. Un éléphant adulte à droite, un antique tigre à dents de sabre sur la gauche, des dizaines d'ossements de divers mammifères entreposés dans des étagères au mur, quelques authentiques fossiles de dinosaures au centre de l'antichambre, et tout au sommet, accrochée de manière précaire au plafond composé de poutres de bois placées entre des blocs de quartz en croisée d'ogives, une carcasse géante de baleine bleue contemplait cette invraisemblable nécropole artificielle.

         - C'est incroyable, murmura Kaito alors qu'il déambulait dans les silencieuses allées. Ce doit être une des plus grandes collections du continent... je connais plus d'un paléontologue qui vendrait père, mère et grand-mère paraplégique pour pouvoir entrer ici ! Il y a ici des animaux dont je n'avais jamais entendu parler! Regarde: un fossile de libellule géante du carbonifère... un éléphant nain de l'île de Malte... un poisson préhistorique!
         - Ca suffit! dit Oldi, qui n'était pas le dernier à contempler les ossements mais qu'un grincement suspect avait ramené à la réalité. On s'en fish du poisson!(5) Il faut qu'on trouve ce moulin le plus vite possible. Je ne donne pas cher de notre peau si le propriétaire des lieux se ramène alors qu'on est en train de zieuter sa collection privée sans son autorisation!

         Cette perspective ayant ramené les deux compères à la triste réalité, ils quittèrent rapidement la salle des fossiles dans le but de trouver celle des anciens bâtiments. Pressés, ils ne s'attardèrent guère dans la salle des objets précieux (même s'ils stationnèrent quelques temps devant une statuette de Papouasie, représentation de quelque déesse de la fertilité, à laquelle le doué sculpteur avait conféré des lignes et formes très avantageuses propres à augmenter la libido de ses admirateurs), et ne jetèrent même pas un regard à la collection spéciale "objets de la seconde guerre mondiale", même si l'exposition comprenait quelques pièces rares, comme par exemple un carnet appartenant au professeur Henry Jones et légué à son fils Indiana, carnet qui ne présente guère d'intérêt si ce n'est celui d'avoir été signé de la main droite d'Adolf Hitler, ce qui est incroyable dans la mesure où le dictateur sanguinaire était gaucher. Enfin, au détour d'un couloir, ils arrivèrent dans la salle contenant le but de leur expédition.

         Dans la grande serre de la villa du sieur Augustin, de plantes exotiques, point. A la place, des dizaines et des dizaines de bâtiments issus de toutes les époques et de toutes les civilisations, récupérés aux quatre coins du monde, démontés pierre par pierre et rebâtis en ce lieu pour le seul plaisir égoïste du multimilliardaire. Surplombant la mer tumultueuse, éclairée par la seule et faible clarté du rachitique croissant lunaire, la pièce donnait l'impression d'un indescriptible chaos digne des meilleures nouvelles de science-fiction post-apocalyptique et ne permettait guère au visiteur lambda de se repérer. Par chance, bien visibles au fond de la salle, les ailes du moulin Haparaule -qui ne brassaient guère que les rarissimes courants de la climatisation- tournaient mélancoliquement, accompagnées d'atroces grincements rendant sa localisation fort aisée. Aussitôt, Oldi et Kaito foncèrent vers la construction, dans le but d'en sonder les murs.

         Hélas! Le duo fit chou blanc, mais alors chou vraiment blanc, aussi blanc que la page d'un critique littéraire chargé de dire du bien du dernier album d'Astérix. Que ce soit à l'intérieur où à l'extérieur de la construction, de la cave aux combles, des fondations au toit, des parpaings aux tuiles, il n'y avait pas la moindre anfractuosité, le plus petit interstice, pas la plus minime fissure dans laquelle le mage Hédépargne aurait pu dissimuler le coffret d'argent contenant la poudre d'os de boîte crânienne de cyclope méditerranéen indispensable à la concoction de la médication magique. Oldi et Kaito ayant tâté en vain la moindre brique de la construction, ils s'octroyèrent une pause indispensable à leur bien-être moral. Dubitatifs, ils s'affalèrent sur le sol.

         - Et puis non! s'écria Oldi, se relevant brusquement. Le coffret n'est pas ici!
         - Qu'est-ce que tu racontes? demanda Kaito, avec une pointe de reproche dans la voix, car s'il y a bien une chose qu'il déteste c'est travailler pour rien.
         - Réfléchis: le coffret était caché dans la maçonnerie. Si le moulin a été entièrement démonté, quelqu'un a dû le trouver, forcément!
         - Mais alors... où est ce coffret?
         - De deux choses l'une: soit Thymmilou n'en a pas pris connaissance. Un des ouvriers démontant la tour l'a trouvé, et l'a gardé pour lui, l'a revendu, que sais-je? Dans ce cas, on aura du mal à le retrouver. Ou bien Thymmilou l'a vu...
         - Et dans ce cas, continua Kaito, il doit être placé...
         - DANS LA SALLE DES OBJETS PRECIEUX!

         Aussitôt Kaito se releva aussi rapidement que s'il avait découvert inopinément une punaise sur le marbre où il était sis et les deux amis firent demi-tour à grande vitesse, direction: la salle précédemment visitée. Ils cherchèrent, fouillèrent, explorèrent, examinèrent, scrutèrent, farfouillèrent(6), et finalement, sur une étagère contre le mur nord de la pièce, virent en compagnie d'autres objets un petit coffret en argent finement ciselé - peut-être provenait-il d'Amarganth?(7) Aucun doute possible : posé négligemment sur la boîte, un petit écriteau cartonné indiquait que ce coffret avait été trouvé en démontant le moulin Haparaule. Oldi prit respectueusement le précieux écrin, l'ouvrit précautionneusement... et s'immobilisa. Son compagnon, à ses côtés, fit de même.

         Durant une dizaine de secondes, ils restèrent immobiles, tels des statues sur un tableau. Oldi, lentement, renversa le coffret, dirigeant ainsi son ouverture vers le bas, mais rien n'en sortit; rien, car le coffret était vide, désespérément vide, aussi désempli qu'une salle de cinéma lors d'une projection d'un film d'Edward Wood. Abattu, Oldi s'écroula sur le sol.

         - C'est fichu, résuma-fort-bien-t'il, cette poudre était le seul moyen de préparer la potion. On est tombés sur un ignare qui a nettoyé le coffret en croyant qu'il était plein de poussière!
         - Il doit y avoir un autre moyen, hypothéqua Kaito. Depuis cette époque, ils ont peut-être trouvé un autre cyclope... on peut en trouver un autre squelette... ou un vivant, et à la limite, on le tue, non?
         - Des clous! Où tu veux trouver un cyclope? Il y a bien la maladie de la cyclopie, mais en général ces cyclopes sont rarissimes et ne vivent guère longtemps... il y a aussi des organismes microscopiques appelés cyclopes, mais étant donné qu'ils mesurent un demi millimètre au maximum et qu'ils ne possèdent pas d'os, ce sera dur d'en faire de la poudre! Et bien sûr, il faut qu'ils soient méditerranéens! Ne t'en fais pas, tout est arrangé...
         - Ah bon?
         - Oui. N'aie aucune inquiétude. JE TE CITERAI SUR MON TESTAMENT!

         De rage, Oldi avait hurlé en crachant autant de décibels qu'un ballet d'Airbus et accompagné son beuglement d'un jet hystérique de coffret argenté. Mais le dit coffret, lancé avec peu de précision, brisa une fenêtre... le problème étant que la fenêtre était reliée au système de sécurité!

         Aussitôt, une alarme stridente retentit, tandis que des spots tournoyants jaillis du plafond se mirent à baigner toutes les salles de la bâtisse d'une inquiétante lumière rouge stroboscopique. Oldi regrettait autant ce qu'il venait de faire que l'iceberg après l'accident du Titanic. Problème: les icebergs ressentent rarement quelque chose... désespéré par la certitude de mourir qu'il avait à présent, Oldi se traînait telle une loque pathétique, indifférent à toute l'agitation ambiante, tandis que Kaito cherchait dans le chaos un moyen de s'évader de cet enfer. Mais le pire restait à venir!

         Kaito traînant Oldi derrière lui, tels des Ico et Yorda de prisunic, se dirigeait vers la porte d'entrée en cinquième vitesse, quand soudain, du haut d'un escalier latéral et sur fond de musique wagnérienne pleine de chœurs extatiques, apparut le propriétaire des lieux, Augustin Thymmilou en personne, avec un pyjama à rayures sur le corps, la rage dans les yeux et à la main un authentique bazooka en parfait état de marche, récupéré moins de 30 secondes auparavant dans la salle de la seconde guerre mondiale, de même qu'une ceinture garnie d'une demi-douzaine de grenades à fragmentation! « Montrez-vous, pleutres ! » cria la bretonne « human bomb », balayant la pièce de son arme tubulaire, « Je sais que vous êtes là ! »

         Seul le mutisme ambiant ayant répondu à ses sommations, Thymmilou hystérique s'apprêtait à quitter la pièce, quand soudain un toussotement incontrôlé de Kaito lui fit cogner le coude contre un socle, ce qui provoqua la chute et le bris de l'authentique vase Ming posé dessus ! Inutile de dire que, voyant cette pièce de collection réduite en morceaux, Thymmilou perdit le peu de patience qui lui restait, et, beuglant de manière incontrôlée comme s'il avait été victime d'une possession satanique, il usa de son bazooka pour tirer une munition mortelle sur le socle abritant feu le précieux vase ! Une explosion titanesque dont le son grave résonna dans tout le bâtiment pulvérisa le dit socle, en même temps que des estampes japonaises et deux guerriers de terre cuite de l'armée de l'empereur Qin ! Kaito et Oldi, eux, s'étaient heureusement protégés de l'explosion en se jetant illico presto derrière une énorme marmite en bronze, réaction d'autant plus rapide qu'Oldi, même s'il avait battu des records d'inertie quand il avait su qu'il rendrait sans doute l'âme prochainement, avait retrouvé son instinct de survie après avoir entraperçu le viseur du bazooka braqué sur son abdomen. Thymmilou, pour sa part, était plutôt en état de violer tous les articles de la déclaration universelle des droits de l'Homme ! Alors qu'il écumait de rage, il vit ses deux cambrioleurs sains et saufs courir en direction d'une autre salle, en même temps qu'un morceau embrasé d'estampe japonaise qu'il avait lui-même pulvérisée lui virevolta devant le nez... complètement hystérique, il rendit ces deux personnes responsables de ce désastre et jura sur la boîte crânienne de ses aïeux de ne pas prendre de repos avant qu'elles ne soient disséminées dans l'air ambiant en particules microscopiques !

         Oldi et Kaito couraient dans les imposants couloirs style rococo de la bâtisse, sans but précis, sans destination aucune, si ce n'est finir dehors en un seul morceau ! Le sol ciré de manière plus qu'honorable fut responsable, en plein milieu de la course effrénée, de la chute à terre de Kaito, ce qui fut une mauvaise chose si on considère que sa cheville droite en prit un sacré coup, et une bonne chose dans la mesure où sa cabriole fit en sorte que le tir de bazooka élaboré pour annihiler un bon tiers de ses organes internes passa largement au-dessus de lui, pour exploser une vingtaine de mètres plus loin en réduisant en fragments moléculaires une tapisserie du XIIIème siècle. Le hurlement hystérique de Thymmilou, derrière eux, ne fit qu'encourager les deux compagnons à passer à la vitesse supérieure. Oldi s'engouffra dans une cage d'ascenseur, retenant la porte pour permettre l'entrée de son compagnon Kaito qui avait pris du retard suite à son dérapage... Kaito qui venait d'accélérer encore après avoir vu, en jetant un regard derrière lui, le milliardaire forcené qui arrivait en vociférant.

         Kaito entra dans la cage métallique, alors qu'Oldi lâchait son emprise sur la porte. Soudain, alors que les battants de la cabine se rapprochaient l'un de l'autre, un petit objet métallique ayant l'apparence d'un ananas sans feuilles vint rouler à leurs pieds. Vingt mètres plus loin, Thymmilou, qui avait arrêté sa course, regardait les compères d'un air satisfait, une goupille à la main. Inutile de décrire la panique qui régna dans la cabine, après que ses deux occupants se soient aperçus que le fruit qui venait de choir à leurs pieds, plutôt qu'un ananas, était plutôt du genre grenade ! Par un réflexe héroïque, Oldi shoota de manière professionnelle dans la bombe ovoïde, tentant de la faire ressortir de la cabine avant qu'elle ne soit hermétiquement fermée. Mais la grenade passa entre les deux battants au moment où ceux-ci allaient se fermer, se coinçant ainsi entre les portes de métal ! Avec acharnement, Oldi et Kaito frappèrent frénétiquement dans le dangereux engin. Après des secondes qui durèrent des lustres, le projectile explosif fut expulsé, les battants de la porte se rejoignirent et alors que la cabine de l'élévateur commençait à se mouvoir, un bruit sourd retentit, tandis que les parois de la fermeture se boursouflaient en plusieurs endroits, signe qu'il s'agissait bien d'une authentique grenade à fragmentation.

         Nous ne nous attarderons guère sur la montée en ascenseur, le calme régnant dans la cabine risquant de rompre de manière inappropriée le rythme effréné de ces palpitants paragraphes. D'autant plus que cette montée était bien silencieuse, Oldi et Kaito reprenant leurs forces sans un mot : exténués, ils n'avaient même pas prêté attention à l'étage vers lequel ils allaient, ayant appuyé sur un bouton au hasard. Puis, la cabine s'arrêta. Il s'agissait du 27ème étage : sortant sur le palier, les deux compagnons arrivèrent sur une mezzanine en marbre avec, une dizaine de mètres en contrebas, une salle en demi-cercle pleine de bibelots tels que des vases, des colonnettes, et des « I », donc une salle consacrée au objets grecs, sans aucun doute. Profitant de ce répit inespéré, Kaito et Oldi contemplaient cette silencieuse collection... soudain, d'une porte ressemblant fort à l'entrée de l'acropole jaillit Thymmilou, ses armes à la main. Il avait les cheveux incroyablement ébouriffés; toutefois, impossible de dire si c'était à cause de sa rage ou de la grenade à fragmentation. Les taches noirâtres et fumantes sur son pyjama faisaient toutefois penser à la seconde possibilité.

         Prestement, Oldi et Kaito se baissèrent afin que Thymmilou ne les aperçoive pas, mais par malheur, le décorateur intérieur du bâtiment (qui, apparemment, n'avait jamais envisagé de course-poursuite dans ses murs) avait garni le plafond de miroirs... le milliardaire en furie, rageur et hystérique en voyant les infiltrés, tira au bazooka en direction du pilier soutenant la plateforme, laquelle s'écroula en miettes dans une avalanche de parpaings marbrés, entraînant avec elle les deux adolescents ébahis ! Comprenant qu'il n'était pas vraiment temps d'aller se faire voir chez les Grecs, les deux amis se relevèrent hâtivement alors qu'une nouvelle grenade tombait à leurs pieds et qu'un rire de forcené jailli de leur arrière-garde résonnait dans toute la pièce... échappant de peu à l'explosion et entrant dans une grande salle longiligne, sans doute consacrée aux Vikings comme semblait l'indiquer l'authentique drakkar trônant au centre de la galerie, ils firent une glissade sur le sol ciré en direction de la lointaine sortie, alors que des tirs de bazooka fusaient dans tous les sens, annihilant tout sur leur passage ! Un tir atteignit de plein fouet le drakkar central, propulsant dans les airs des morceaux de bois moussus ainsi que quelques mannequins vêtus comme à l'époque ; un des dits mannequins atterrit devant Oldi et Kaito, explosant en des milliers de fragments de porcelaine tandis que tout son attirail encombrant se répandait sur le dallage, bloquant le chemin aux deux fuyards !

         Incapables de freiner, ils s'étalèrent de tout leur long sur le tas de bibelots, alors qu'une nouvelle grenade jetée avec hargne atterrissait derrière eux. L'explosion ne les blessa pas mais les projeta au loin, glissant sur le sol plus vite que jamais grâce au bouclier viking sur lequel il se trouvaient et qui leur servait de luge improvisée ! Fusant à toute vitesse vers la porte de sortie, ils constatèrent avec horreur que celle-ci donnait sur un escalier en spirale ! Risquant leur vie à chaque nanoseconde, maniant le bouclier-luge avec une ahurissante dextérité, les deux compagnons sortirent de l'infernal colimaçon plusieurs étages en contrebas, dans une salle abritant une collection dédiée à l'art africain, comme en témoignaient les inquiétants mais néanmoins magnifiques masques de sorcier accrochés aux parois marbrées. Zigzaguant avec prestesse entre les objets de la collection, ils en renversèrent tout de même quelques-uns, se retrouvant sur la luge en compagnie de statuettes en terre cuite représentant quelques divinités païennes et une demi-douzaine de lances richement ornées... ressortant de la salle avec leur curieux attirail aussi vite qu'ils y étaient entrés, il se retrouvèrent à nouveau dans la salle des squelettes, percutant au passage des ossements d'eoraptor, de kiwi, de dodo, ainsi que ceux de l'éléphant nain de l'île de Malte qu'ils avaient entraperçu tantôt et dont ils emportaient à présent toute la moitié supérieure du corps ! Traversant à toute berzingue la salle des objets précieux sur leur traîneau, ils réussirent à ne percuter aucun des rarissimes ustensiles ; mais dans la salle des objets de la seconde guerre mondiale, ils ne réussirent pas, malgré tous leurs efforts, à éviter le char d'assaut allemand qui leur servit de tremplin ! Volant dans les airs tel un candidat excentrique dans une compétition de saut à ski, le bouclier, ses occupants et l'attirail qu'ils crapahutaient à présent avec eux bondit par-dessus une rambarde de chêne pour survoler de très, très haut la salle des bâtiments reconstitués, en fonçant vers la vitre de la serre ! Les lances africaines que les compagnons avaient embarqué leur évitèrent d'être blessés par le verre lorsqu'ils franchirent les parois vitrées, mais la frêle embarcation tomba comme une pierre dans l'océan tumultueux, tandis que résonnaient trois cris : deux cris de terreur, provenant d'adolescents apeurés, et un cri de rage exhalé par un milliardaire hystérique au bord de la folie. Un petit plouf résonna très loin, en contrebas de la forteresse. Puis, plus rien.

         Le silence.

         Un silence qui dura de longues minutes.

         Puis, quelques sirènes retentirent dans le calme nocturne de la lande bretonne, signe que le milliardaire avait un tant soit peu retrouvé ses esprits et alerté les autorités officielles. Un chaos indescriptible régnait à bord de la construction, les tirs de bazooka et les explosions de grenades ayant fortement ébranlé l'exemplaire organisation des collections privées de sieur Thymmilou. La citadelle semblait plus inquiétante que jamais ; à l'architecture bétonnée, austère et angoissante, s'étant ajoutées des volutes de fumée noires et pourpres s'échappant de diverses fenêtres du bâtiment pour aller se désagréger dans les brumailles salées. Quiconque aurait assisté à ce spectacle aurait, sans doute, dit que cette forteresse ressemblait à présent à un quelconque lieu de culte satanique.

         - Maintenant, on dirait un lieu de culte satanique, dit Oldi.

         Par un miracle comme on en trouve seulement dans les saintes écritures, Oldi et Kaito avaient survécu à leur chute considérable. Echoués sur un petit îlot à quelque distance de la villa, ils n'avaient que quelques ecchymoses sans gravité, principalement des éraflures causées par l'attirail archéologique qu'ils avaient transporté avec eux contre leur gré. Kaito, justement, n'avait pas encore réussi à se dépêtrer complètement, emberlificoté qu'il était dans la demi-dépouille de l'éléphant nain. Soudain, contre toute attente, il cessa toute lutte : quelque chose venait de le figer complètement. Ce quelque chose était une petite pancarte, accrochée au squelette de l'animal, bien lisible malgré son bain forcé. Puis, il poussa un cri.

         - HEY ! OLDI! VIENS VOIR ! VITE !

         Celui-ci courut donc vers son ami ; il tenta de l'aider à se désemberlificoter, mais son compagnon lui fit bien comprendre à grands renforts de cris négatifs hystériques que ce n'était point de l'aide qu'il demandait : il prit le morceau de carton qu'il avait aperçu, le plaqua devant son ami et ils lurent ensemble ce qui y était marqué :

                                                               

    ELEPHANT NAIN DE L'ÎLE DE MALTE

    Proboscidien, disparu.

    Egalement nommé proto-éléphant, ou deinotherium. Cette espèce disparue vivait à Malte, mais également en Crète et en Sicile; le deinotherium différait de l'éléphant actuel du fait que ses défenses pointaient vers le bas. Il est à noter que beaucoup de spécialistes pensent que ces éléphants auraient donné naissance au mythe des cyclopes. En effet, la large cavité nasale visible au centre du crâne ayant été confondue avec une cavité orbitale, on croyait jusqu'à il y a peu que ces os appartenaient à de gigantesques êtres humains dotés d'un seul œil : une croyance provenant du fait que peu de Grecs ayant vu à quoi ressemblait un squelette d'éléphant, ils avaient peu de chances de déterminer l'origine de ce crâne. (8)

     

         Tandis que de courageux pompiers tentaient de circonscrire les incendies ayant éclaté partout dans la villa d'Augustin Thymmilou, sur une petite île, un peu plus loin, un adolescent folâtre dont le pseudo commençait par « Ol » et se finissait par « Di » venait d'entamer une petite danse improvisée accompagnée de chants extatiques, alors que son compagnon lui demandait, étant donné qu'il savait maintenant qu'il était sauvé pour de bon, s'il pouvait le désempêtrer de cette saleté de squelette à la noix, si ça ne le dérangeait pas.

         Tout était à sa place.

      

      

    (1) Je sens bien que beaucoup d'entre vous sont frustrés que je n'aie pas décrit en détail les simagrées, danses et autres farandoles que Kaito dut exécuter. Je vous prie de m'en excuser. Non pas que le but de ce site soit de ne pas vous faire rire, ce serait même l'inverse, mais les mouvements rituels nécessaires étaient si ridiculement ridicules que je crains que vous eûssiez eu une crise cardiaque à force de rire, et ce avant même d'avoir lu le fin mot de l'histoire, ce qui serait, avouez-le, vraiment dommage. Sans compter que les autres blogs d'humour m'auraient fait un procès pour concurrence déloyale. Vous n'aurez donc aucun détail sur le rite effectué...

    (2) ...sauf celui-ci qui m'a échappé. Errare humanum est.

    (3) Il se trouve que ce sortilège de crochetage avait été baptisé Alohomora. Soit c'est un hasard incroyablement extraordinaire, soit J.K. Rowling c'est rien qu'une sale copieuse.

    (4) D'autant plus qu'aujourd'hui, je ne suis pas inspiré pour les dialogues.

    (5) Calembour en franglais. Très rare.

    (6) Je m'arrête là, mon dictionnaire des synonymes s'épuise.

    (7) Si ce nom ne vous dit rien, je vous conseille de réviser sérieusement votre littérature fantastique.

    (8) Ne croyez pas que j'aie inventé cette histoire simplement pour les besoins du scénario : tout ce que vous venez de lire est absolument authentique... Vous êtes dubitatifs ? Renseignez-vous !


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