•      Aujourd'hui, nous sommes le 31 décembre - je le précise pour ceux qui auraient la phobie des calendriers. Le 31 décembre 2009. Ce qui sous-entend que demain, nous serons le 1er janvier 2010, sauf si, bien sûr, un élément inopportun tel que cataclysme atomique, explosion de la planète, virus mortel et foudroyant (pas la grippe A, hein, un truc vraiment dangereux), résurrection des dinosaures, etc, vient promptement mettre un terme à l'espèce humaine avant minuit ce soir.
         Nous passons donc dans une nouvelle année. Et même si l'effet de surprise diminue au fur et à mesure que nous autres, humains, vieilissons et périclitons peu à peu, c'est tout de même un évènement. En effet, la nuit du 31 décembre au 1er janvier est le moment idéal pour:
         - se bourrer la gueule de manière anarchique et se goinfrer de succulents petits fours jusqu'à retour-à-l'envoyeur stomacal;
         - rouler à toute berzingue dans les avenues désertes en claxonnant à tout-va et en hurlant des chansons grivoises aux paroles aussi compréhensibles que notre taux d'alcoolémie trois fois supérieur à la dose mortelle nous le permet;
         - faire le point sur l'année écoulée.

         Les deux premières solutions, bien que fortement déconseillées pour la santé et nuisant aux bonnes moeurs, sont les plus répandues. Mais, dans un souci d'éthique, nous nous pencherons plutôt sur la troisième.
         Hélas! Lorsqu'il s'agit de résumer les 365 jours qui viennent de passer, le bilan est bien souvent mitigé. Difficile de résumer les éléments positifs... le sommet de Copenhague? HA! Laissez-moi rire, un sommet de c**nerie, oui... la faim dans le monde? La faim, oui, la fin, non. La paix mondiale? C'est en route, d'après ce qu'on dit, mais il faut faire la guerre pour ça... et, par-dessus tout (et par-dessous la terre), les décès de 2009.
         Chaque fin d'année, on nous rabâche avec les décédés des mois précédents. Cette année au palmarès: Michael Jackson, Alain Bashung, Sim, Sumo (le chien de Chichi), Patrick Swayze, Jean-Marcel Grossebidasse, tant de personnages qui ont trouvé un dernier moyen de faire parler d'eux. (sauf Jean-Marcel Grossebidasse, dont personne n'a parlé lorsqu'il a quitté ce monde le 5 août à la suite d'une indigestion, tout simplement parce qu'il n'a jamais rien fait de sa vie, même pas débarrasser le lave-vaisselle d'après sa femme. Mais vu l'indifférence générale dans laquelle il a vécu, je pense qu'il méritait bien quelques petites lignes.)
         Les médias, plus pessimistes qu'un roman post-apocalyptique, nous parlent toujours de ceux qui ont disparu corps et âme, enfin, âme surtout, corps c'est une question de temps en fonction de la nature du sol. Et pourquoi ne fait-on jamais le contraire... et parler des naissances de l'année?
         C'est vrai! Le jour de la mort de Michael Jackson, les médias auraient pu terminer sur une note positive en annonçant que, au moment même où Bambi fermait les yeux, dans le Gers naissait Juliette Komansava, qui serait dès ses dix-huit ans une des plus grandes actrices du cinéma français! Pourquoi ne pas l'avoir fait?
         Pour deux raisons...
         Premièrement, les médias aiment faire peur, parce que la mort, ça rapporte. Ah, mon Dieu, des morts partout, holala, c'est affreux, et n'oubliez pas d'acheter ceci-cela et d'appeler le numéro surtaxé en bas de l'écran en cas de doute. C'est une stratégie marketing, tout cela!
         Deuxièmement, les journalistes ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. D'accord, ils ne sont pas très malins à la base, mais à partir du moment où ils sont sous l'autorité de quelqu'un pour relater des infos, ils seraient incapables de voir un tigre du Bengale dans la même pièce qu'eux et ne commenceraient à se poser des questions qu'en contemplant un moignon sanguinolent au bout duquel ricane un félin barbouillé de rouge à l'air satisfait. C'est vrai que prédire l'avenir est une tâche ardue, et les spécialistes en la matière comme Nostradamus s'y sont cassé les dents, du moins celles qui leur restaient. Mais après tout, d'un point de vue mathématique, deviner le futur, c'est juste tenir compte de milliers de variables et de réunir tout ça dans un joyeux bazar pour en tirer une conclusion plausible. Parfois, c'est difficile, mais bien souvent, un avenir prédit avec soin se révèle exact (on peut, par exemple, prédire qu'une personne se trouvant sous un piano à queue chutant du douzième étage a 99,5% de chances de mourir, les 0,5% restants tenant compte de la variable "nous sommes dans un dessin animé de Tex Avery").
         Mais, fi de l'introduction, passons au coeur de cet article! Je terminerai donc cette année de manière positive en vous résumant les naissances les plus significatives ayant eu lieu en cette année 2009!

         - 1er janvier: après la cuite réveillonesque et en plein dans les petits toasts et les bouteilles entamées naissait à Rouen Alexandre Jirécraché. Hébergé pendant toute la soirée dans un tonneau à demi rempli pendant que sa génitrice faisait la chenille, il deviendra dès ses 15 ans le membre le plus virulent de la CAAEORP, Compagnie Anti-Alcool Et On Rigole Pas, devenant son chef en 2031. Il s'illustrera le 26 juin 2036 lors de la bataille de Glouglou-la-Lichette, où la CAAEORP venait de faire exploser la plus grande brasserie du département, en assommant à mains nues trente-quatre CRS. Ses restes seront conservés au musée des paroxysmes dans un bocal dès le 27 juin 2036.
         - 5 mars: naissance à Washington de Sarah Sure, future présidente des Etats-Unis dès 2040. Fervente féministe, elle imposera la peine de mort pour les machos avérés, interdira l'entrée sur le territoire américain des polygames, et imposera le port de la jupe et du mascara pour les hommes. Assassinée en 2042 par un commando armé dont les membres ne seront jamais retrouvés, les seuls indices les concernant étant qu'il sentaient la bière et la poudre à fusil de chasse, qu'ils avaient des voix de barytons et juraient beaucoup.
         - 29 mars: à Moscou, naissance de Igor Djenkombree, pianiste virtuose. Victime à 13 ans d'un accident de taille-crayon, il s'illustrera par ses compositions tragiques et mélancoliques comme Symphonie en sol mineur pour habitants du bassin des houillères, Petite musique de nuit pour mélomanes insomniaques et Sonate à serpent. Ses compositions se jouent toujours à six doigts et deux moignons.
         - 17 juin: naissance à Sparrow Pit, en Angleterre, de Jenny, Lydia, Bette, Nicole et Esther Holle, cinq soeurs stars de la littérature enfantine. Elles écriront des romans pour têtes blondes étonnamment mûrs et sérieux, loin des inepties que l'on trouve habituellement en librairie dans les rayons de-trois-à-six-ans. Parmi leurs plus grand succès: Ernestin le lapin et la boîte de Durex, Petit-Jean se shoote et Le petit chaperon hémophile. Cette dernière nouvelle sera adaptée au cinéma en 2057, avec Daniel Radcliffe dans le rôle du grand méchant loup séropositif.
         - 14 juillet: le jour de la fête nationale française naissait Jean-Louis Feene à Sarcelles. Futur cuisinier des grands restaurants de Paris. Sa date de naissance lui ayant toujours donné des sentiments patriotiques, il fera uniquement des plats aux couleurs du drapeau français, à base de riz blanc, de sauce tomate et d'un étrange mais délicieux steak bleu. Arrêté en 2066 après qu'une commission responsable de l'hygiène ait découvert que sa technique pour rendre ses steaks bleus consistait à les dissimuler dans sa cave durant une décennie ou deux.
         - 31 août: venue au monde à Kyoto de Yamamoto Kakapoté Ekadératé, mangaka de renom. Créateur de la série La jeunesse de Tintin, relatant les premières années tumultueuses du célèbre reporter à houpette. Suivra quelques années plus tard La jeunesse du capitaine Haddock, puis La jeunesse du professeur Tournesol. S'essaiera à un autre style en 2051 avec Destructor le Maléfique et les vierges de de Grozanus LXIX. Bide complet. Se suicidera l'année suivante.
         - 17 septembre: à Bonn, naissance de Hans Hylans, savant allemand. Trouvera en 2071 le remède contre le sida, mais sera assassiné par un commando envoyé par un consortium de groupes pharmaceutiques avant d'avoir pu répandre sa découverte. Son corps, ses notes et son laboratoire seront brûlés lors de l'attaque et ses cendres dispersées au-dessus du Rhin.
         - 31 octobre: naissance à New Delhi de Jpayt Lgueul, dictateur. Né en face d'une citrouille décorée pour Halloween, il en sera traumatisé à vie. Une fois élu président de l'Inde, sa première mesure sera d'annihiler toutes les citrouilles et tous les potirons du pays, puis instaurera un règne de terreur pour tous les habitants du continent. Il sera l'inventeur du Jtevid, méthode de torture consistant à évider le crâne d'un opposant à la petite cuillère, puis découper des formes rigolotes dans la peau au niveau de la bouche et des yeux et mettre une bougie allumée à l'intérieur.
         - 29 novembre: naissance à Sacramento aux Etats-Unis de Bell Plant, botaniste renommé spécialiste des plantes modifiées génétiquement. Inventeur de la Fleurdelaje, plante carnivore mangeuse d'hommes qu'il disséminera dans les parcs publics des Etats-Unis en douce, donnant ainsi un coup de pouce à l'écologie, les gens ayant plus de respect pour ce qu'ils craignent. Egalement inventeur de la fleur qui ne fane pas (en fait, du plastique hyperréaliste), du saule pleureur pleureur (non, non, ce n'est pas une faute de répétition), du bois spécial pour les gourdins (le bois-un-p'tit-coup) et du chêne Esclavebrizévo. Tué par une Fleurdelaje folle de rage alors qu'il dégustait une salade.
         - 5 décembre: naissance à Dubled-le-Trou de Julien Afoutre, médecin français. Spécialiste de la chirurgie esthétique, bien que n'ayant aucune compétence dans ce domaine. Il mutilera atrocement tous ses patients, mais gagnera tous les procès intentés contre lui. On se rendra compte par la suite qu'il était soutenu par un producteur de films d'horreur recherchant des acteurs pouvant incarner des zombies, sans maquillage.
         - 24 décembre: naissance dans un endroit inconnu mais probablement très au Nord du fils du Père Noël. Il reprendra l'affaire familiale à la suite de la mort de son géniteur en 2034. Mourra lors d'un accident de traîneau pendant sa première tournée, laissant geindre des milliers d'enfants malheureux à travers le monde (nous ne parlons pas ici des enfants du tiers-monde, qui geignent de toute façon et auxquels papa Noël n'a jamais daigné s'intéresser, sachant que ces crève-la-dalle n'ont jamais eu la décence de lui laisser le traditionnel verre de lait accompagné de biscuits. Pas de lolo, pas de cadeaux.)

         Et encore, j'en ai passé un bon nombre. Je ne m'étendrai pas sur Adolf II, futur chancelier allemand plein de fougue et heureusement assassiné avant d'avoir pu faire trop de conneries; sur Patrick Sapu, acteur américain spécialiste des rôles de grands méchants au regard pénétrant et dont la carrière se terminera lors de son éborgnement accidentel le jour de l'an 2060; et sur Juliette Komansava précédemment évoquée. De toute manière, malgré son talent, elle ne jouera que dans des docu-fictions soporificohistoriques sur France 2 dont le budget est inférieur au produit des ventes de cinq carambars d'occasion et d'un crayon bleu mâchouillé au bout.

         Sur ce, bonne année 2010 à tous!

     


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  •      Une nouvelle journée débutait dans la petite cité moyenâgeuse de Vilamoi. Les boulangers déverrouillaient leur huis, les cordonniers installaient leur matériel, les marchands de fruits et légumes mettaient en place leur étal et s'humectaient les cordes vocales en prévision de leurs prochaines vociférations.
         Peu à peu, les rues vides faisaient place à une agitation bon enfant qui faisait plaisir à voir. Des enfants innocents galopaient dans les rues pavées de la cité, criant des phrases obscures que seuls leurs esprits de bambins étaient en mesure de comprendre. Des chevaux traînant de lourdes charrettes clopinaient de leurs sabots, des chiens errants poursuivaient des chats errants; se trouvaient également des canards errants, des poules et coqs errants, et bien sûr François, l'ermite errant.
         Celui-ci, n'étant lié à aucune famille, passait son existence à badauder dans le royaume de la cité de Vilamoi. Il avait atteint un âge respectable, surtout au vu des nombreux évènements dramatiques qui bouleversaient régulièrement la tranquillité de la ville. Il n'avait connu que le royaume de Vilamoi, mais, bien que ne pouvant donc établir aucune comparaison, il était à peu près certain qu'une telle débauche de malchance était anormale.
         - Hey, bonjour le François! cria Adalbert, l'apprenti du cordonnier. Belle journée, n'est-ce pas?
         - Mouais, grommela François à qui on ne la faisait plus. Pour le moment, mais vous savez comme moi qu'au moindre pépin toute notre cité risque de tomber en poussière... si au moins le Grand Maître prenait de bonnes décisions!
         Ah! Le Grand Maître... François, comme tous les Vilamiens, avait toujours vécu sous son autorité. Personne ne l'avait jamais vu, ni entendu le son de sa voix. C'était comme une entité mystérieuse qui donnait des ordres directement par la pensée. Des ouvriers se mettaient à construire une maison? C'était une idée du Grand Maître. Aucun permis de construire, aucun plan voté par une quelconque assemblée: tous avaient eu en même temps une envie irrépressible de saisir leurs truelles et d'agencer des parpaings, sans pouvoir expliquer par la suite qui leur en avait donné l'ordre. Tous les Vilamiens, sans exception, obéissaient au Grand Maître, même -et surtout- s'il avait des idées débiles. Pire encore: toute leur existence dépendait du Grand Maître, et ils étaient quasiment incapable de prendre des initiatives! Mais, bizarrement, si la plupart des actes ordonnés par le Grand Maître relevaient de l'aberration la plus totale, personne n'avait jamais réussi à s'opposer ouvertement à lui. Oh, on le contredisait, mais rien de plus; pas de révolution, d'émeute ou de simple manifestation, rien. On faisait avec. Et on restait optimiste... comme l'était Adalbert.
         - Mouais, dit justement celui-ci, c'est sûr. Mais, cela pourrait être pire!
         Au même moment, comme le veut la coutume lorsqu'on prononce ce genre de phrase, une violente explosion retentit à quelques rues de là. Adalbert et François chutèrent.
         - Nom de... dit celui-ci, qu'est-ce que c'était??
         - Notre réserve d'huile vient d'exploser! lui répondit un quidam affolé.
         - En plus, rétorqua un autre qui récupérait ses lunettes tombées à terre, elle se trouve à côté de l'entrepôt de munitions!
         - QUOI! hurla Adalbert. Mais, qui a eu l'idée stupide de construire une réserve d'huile potentiellement inflammable à côté d'un entrepôt de munitions??
         - C'est évident, dit François, c'est le Grand Maître, encore une f...
         Il ne termina pas sa phrase car aussitôt une seconde explosion retentit, dix fois plus forte que la précédente. Des balles de fusil et des boulets de canon jaillirent jusqu'à trente mètres d'altitude, les fenêtres des bâtiments consumés vomissaient des hectolitres de flammes pourpres. Le quartier nord de Vilamoi n'était plus qu'un gigantesque brasier d'où s'échappaient, tels des fantômes embrumés, des cris atténués d'horreur et de douleur.
         - Il faut appeler les pompiers! dit Adalbert.
         - Mais, rétorqua une femme à proximité, leur caserne est sûr l'île de Stamoi-Hossy, à plus de ving-cinq lieues!
         - Comment? Il n'avaient pas deux casernes, une dans le quartier ouest et l'autre au bout de la péninsule de Ouistamoi??
         - Si, bien sûr, mais, euh... le Grand Maître a ordonné de les démolir il y a six mois... il a mis des parcs publics à la place... c'est idiot, je sais, mais... le Grand Maître...
         - Je vous l'avais dit! dir François. Je vous l'avais d...
         François ne finit pas sa phrase. Ni aucune autre. Il s'écroula par terre, la bave aux lèvres.
         - FRANCOIS! hurla Adalbert, se précipitant sur le vieillard.
         Mais, aussitôt, il recula. Sur les bras décharnés de l'inanimé venaient d'apparaître de grosses cloques purulentes, plus noires que du goudron brûlé.
         - Oh non! C'est la peste noire! hurla Adalbert, suivi dans son horreur par quatre passants.
         Déjà, un peu plus loin, d'autres tombaient, victimes de la terrible maladie. Bizarrement, à Vilamoi, la moindre infection se répandait à une vitesse proche de celle de la lumière... d'ailleurs, TOUT se répandait anormalement vite; les incendies, les informations, même le courrier. C'est dire.
         - Il faut appeler un médecin! beugla Adalbert.
         - Mais il n'y en a plus qu'un pour tout le royaume! Et son cabinet est à côté de la caserne des pompiers...
         Le sol trembla.
         - C'est quoi, ça, encore!!!
         - Il paraît, hurla une jeune femme anonyme mais semblant incroyablement bien informée, que l'île de Stamoi-Hossy vient d'être engloutie par un raz-de-marée! C'est là...
         Des cloques apparurent sur son bras. Elle s'écroula.
         - C'est là où il y avait les pompiers et le médecin, non? compléta Adalbert.
         - Le médecin arrive! cria un quidam (dont on se demandait comment il était au courant). Il a eu le temps de quitter son cabinet... mais l'explosion a détruit la porte de la ville, il ne pourra pas entrer!
         - Comment! ragea un passant. Vilamoi est entourée par trois murailles de cinquante lieues de long, et il n'y a qu'une seule porte?! C'est affligeant!!
         - C'est encore une idée du Grand Maître... on n'y peut rien...
         Le ciel s'obscurcit. Les vents soufflèrent. Au loin, un cône nuageux descendit du dessous d'un cumulonimbus pour rejoindre la mer en un tube tournoyant digne de la fin du monde.
         - Un typhon! Il manquait plus que ça! brailla un passant.
         - Réfugions-nous dans les grottes, vite!
         - Il n'y en a plus! contredit Adalbert. Elles se sont écroulées l'année dernière... le Grand Maître n'avait jamais demandé de les consolider, et depuis, il n'a jamais donné l'ordre de les réparer... cette fois, c'est la fin! Que pourrait-il arriver d'autre??
         - ALERTE! cria un quidam, zigzaguant entre les poutres enflammés et les corps putréfiés.
         - Quoi encore??? osa à peine demander Adalbert.
         - LE ROYAUME VOISIN NOUS ATTAQUE!!!
         - Oh non! Et nos munitions qui ont fichu le camp!
         Une violente explosion détruisit alors la muraille sud de la ville, dévoilant ainsi un spectacle d'épouvante aux Vilamiens apeurés... là-bas, sur la mer, se découpaient les silhouettes grisâtres de dix-sept porte-avions lourdement armés! Bravant les nuages de l'incendie, un millier d'hélicoptères de guerre vrombissaient par-dessus Vilamoi meurtrie! Par la brèche du mur s'engouffraient dans les rues des centaines de chars d'assaut clinquants, tirant sur tout ce qui bougeait (encore) et détruisant les bâtiments comme des châteaux de cartes! Des G.I. armés jusqu'aux dents et beuglant des inepties monosyllabiques pénétraient par contingents entiers dans les ruelles de la ville, mitraillant et annihilant à la grenade tout ce qu'ils croisaient! Dans le ciel, venant des porte-avions, se découpaient les fumées rougeâtres d'un millier de missiles se rapprochant dangereusement...
         - C'est quoi, ça!!! hurla Adalbert décontenancé. Comment ont-ils pu avoir cette technologie?? Pourquoi, nous, n'avons-nous pas cet équipement!!!
         - Le Grand Maître ne nous l'a jamais demand...
         Le quidam anonyme ne finit pas sa phrase. Un missile le décomposa, lui, Adalbert et une trentaine de passants, en morceaux pas plus gros qu'une chiure de gomme.
         La cité de Vilamoi était à feu et à sang. C'en était fini du petit royaume.

         L'écran afficha GAME OVER. Le joueur, rageant, appuya sur echap et décida de se consacrer à une activité plus plaisante, à savoir aller chercher des vidéos de cul sur Internet.
         Décidément, les jeux de gestion, c'était pas son truc.


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  •      Monsieur Lepetit s'ennuie.

         Monsieur Lepetit vit dans une petite maison à la sortie de la ville. Il ne reçoit jamais de visite. La dernière fois qu'on avait sonné à sa porte, c'était en 1992. Un inspecteur des impôts. Il était reparti très vite.

         Monsieur Lepetit est seul, tout le temps. Et il aime ça. Il hait le monde et ceux qui le peuplent. Les hommes, les femmes, les hermaphrodites, les enfants, les vieux, les grands, les petits, les médiums, et ceux qui n'ont pas de dons de voyance. Affalé dans son fauteuil, avec pour seule compagnie un chat empaillé et ses soixante-douze années, il grogne. Il se parlerait bien à lui-même, mais il sait qu'il est un interlocuteur particulièrement peu palpitant. D'ailleurs, il n'aime pas parler.

         Il hait tout le monde. Dans le présent, dans le passé. Sauf, éventuellement, Gertrude. Feu Gertrude. Sa femme. Disons qu'il lui était arrivé d'apprécier sa compagnie, de son vivant. Quarante ans déjà... quarante ans qu'elle avait quitté ce monde.

         Quarante ans qu'il l'avait assassinée, en fait.

         Monsieur Lepetit se souvient... un petit village, dans le Sud... un accordéon rouillé, une fête sans importance, et puis elle. Gertrude. Elle vient de se faire briser le coeur. Monsieur Lepetit, pendant ce temps, cherche le gros rouge sur la table du banquet. Sa main frôle celle de la charmante dame. Un regard. Monsieur Lepetit, saoul, grogne. Gertrude, saoule également, sourit. c'est le coup de foudre.

         Une petite église, quelque temps plus tard. Monsieur Lepetit et Gertrude sont à nouveau sobres, mais ils ont un brin sympathisé. De toute manière, ce sont des exclus de la socité, autant qu'ils vivent ensemble. Le curé, le maire unissent leurs existences. Ils s'installent dans une petite maisonnette. Ancrés dans les clichés de l'époque, madame cuisine et fait le ménage, monsieur travaille.

         Puis, ce tragique jour, le 31 octobre 1969. Monsieur Lepetit rentre chez lui. Ses collègues et lui se sont enfilés quelques bouteilles. Monsieur Lepetit a bu, à présent, il veut manger. Il ouvre la porte de la salle à manger. Le repas n'est pas prêt. Dans un des antiques fauteuils du salon, Gertrude gît, dans la position du penseur de Rodin. Elle a un mal de tête atroce, dit-elle. Monsieur Lepetit, enivré et aviné, s'emballe. Il hurle. Il saisit un couteau, lève sa femme du fauteuil et la poignarde.

         Il observe le corps. Puis reprend ses esprits. Il va chercher son fusil dans la remise, tire dans la maison par trois fois, puis appelle la police.

         Par de faux sanglots particulièrement réalistes, il raconte aux policiers une histoire de cambriolage ayant mal tourné. Le malandrin aurait assassiné sa femme, qui l'avait surpris, et monsieur Lepetit, en état de légitime défense, avait saisi son fusil et tiré sur l'agresseur. Mais l'avait raté, malheureusement. Le vil voleur avait embarqué tous les bijoux de Gertrude. En fait, monsieur Lepetit les avait joués aux courses la veille. Les policiers du patelin, inexpérimentés, ne poussent pas les investigations plus loin.

         Ca tombait bien, il y avait une vague de cambriolages dans la région à cette époque-ci. On avait arrêté le coupable quelques temps plus tard. Un jeunot, pas plus de 25 ans. Il avait toujours reconnu les cambriolages mais nié le meurtre. On ne l'avait pas cru, et hop! guillotine! C'était le bon temps.

         Monsieur Lepetit ne regrette rien. Oh! il avait bien eu quelques remords et quelques embêtements suite à son acte criminel; il avait, par exemple, été obligé d'acheter un lave-vaisselle. Mais, ce n'était pas sa faute, il ne supportait pas qu'on le contrarie. D'ailleurs, il avait retenu la leçon: il n'avait jamais renouvelé l'expérience de la vie en couple. Trop de soucis, à vivre à deux.

         Monsieur Lepetit sourit. Il se remmémore la messe d'enterrement de sa dulcinée. Le curé local, qui avait vraiment une foi inébranlable comme on n'en trouve plus que chez les grassouillets à robe du Vatican, disait que le Seigneur punirait l'auteur de cet acte odieux. Monsieur Lepetit avait eu du mal à ne pas ricaner. Aujourd'hui, en 2009, aucune raison de se retenir. Monsieur Lepetit rigole. Une Justice divine! Ben voyons! Rien, aucune manifestation en 40 ans, et...

         On frappe à la porte.

         Monsieur Lepetit ouvre grand les yeux. Une visite, à cette heure-ci? Ici? C'est trop rare pour être loupé, ça... une nouvelle victime à traumatiser. Monsieur Lepetit se lève. Réglant son déambulateur sur sa vitesse maximale, il piétine en direction de l'entrée. La sonnette résonne à nouveau: le visiteur s'impatiente. Monsieur Lepetit, lentement, parcourt le long couloir brunâtre au papier peint humide et aux tapis rapiécés des soldes de 1974. La porte au bois rongé se dresse devant lui. Par la vitre encrassée, il distingue une silhouette. Il ouvre.

         Horreur épouvantable! Vision dantesque! Apparition aberrante!

         Monsieur Lepetit tente de hurler, mais il n'y parvient pas! Il ne croit pas ce qu'il voit! Ses yeux sont en piètre état, mais impossible de se tromper: c'est bien sa défunte Gertrude qui demeure là sur le palier! Il reconnaît ses yeux plissés, son nez de Citroën 2CV 1949, son teint blafard! Sa robe rapiécée sortie d'outre-tombe vole au vent comme une nuée de corbeaux; son traditionnel panier pour aller au marché, rempli d'une étrange manne, gît à ses pieds! Son chapeau en pointe du dimanche semble désigner monsieur Lepetit, l'assassin innocenté! La revenante, sans doute avide de vengeance, regarde son ex-mari et à présent veuf avec ce sourire typique de ceux qui vont vous emprunter de l'argent, et pas forcément avec votre accord... Monsieur Lepetit halète! Il ne peut plus rien faire, d'une seconde à l'autre, la défunte infâme lui sautera au cou et emmènera son âme fuligineuse dans les enfers flamboyants!

         Devant la vision d'épouvante, monsieur Lepetit ne subsiste guère. Car si ses yeux ont certes du mal à soutenir l'apparition infernale, son coeur, lui, a définitivement rendu les armes. Abandonnant tout espoir, il cesse ses activités, les ventricules se démantibulent, ses vaisseaux sanguins et sans perte jouent à l'aorte sauvage, le rythme décroît, les artères qui manquent de veine ne véhiculent plus rien. L'organe palpitant tire sa révérence. Monsieur Lepetit s'effondre sur le plancher.

         Les policiers et médecins grouillent autour de la maison. Il n'y a plus rien à faire. Sur la pelouse de monsieur Lepetit, entre un massif d'hortensias et des nains de jardin moussus affichant des sourires inconvenants, une fillette raconte, entre deux hoquets sanglotants:
         - Je... (snif) ...vous jure... j'étais juste chez lui, avec mon déguisement de sorcière... j'ai sonné, il a ouvert, et il... il... (pleurs)
         - Allons, allons, petite! rassure un représentant de l'ordre. Tu n'as rien à te reprocher, il était très vieux, ce monsieur! C'est la vie, on peut avoir ce genre de problèmes, à cet âge-là! Et il n'avait pas l'habitude des visites... allez, on se reprend, on oublie tout ça! Essaie de passer quand même un bon Halloween!

     

     

    EDIT: pas de dessin pour cet article, pas le matos ni le temps... alors, pour rester dans l'ambiance Halloween, je mets une photo d'un de mes chats grignotant un potiron. L'a d'ailleurs failli s'étouffer avec, c't'andouille.


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  •      Bonjour à tous! Texte tardif, dû à une rentrée très chargée, et à un appartement sans Internet, ce qui, évidemment, n'arrange pas les choses.

         Je préfère vous prévenir de suite, pas de nouvelle histoire en épisodes pour le moment: c'est très éprouvant à écrire! Voilà. Et donc, pour étrenner ce nouveau cycle d'articles, je vous propose ce texte, réminiscence d'une expérience personnelle vécue à la gare de Strasbourg...

         Il y a quelque mois, en effet, j'effectuai un stage dans cette cité. Mon lieu de travail se trouvant à proximité de la gare, et ne voulant pas perdre de temps dans un quelconque fast-food pour le repas de midi, je préférais la plupart du temps m'installer tranquillement sur un banc de l'édifice SNCF, sous l'immense verrière qui fait la fierté du bâtiment et la colère de bon nombre de riverains.

         Pour moi, c'était l'endroit idéal pour se poser. Une gare est un endroit sans cesse en mouvement, en activité... observer les gens peut sembler un loisir un brin puéril, mais je vous assure qu'en ce genre de lieu on peut parfois trouver le graal de l'observateur. Passons sur les classiques troupeaux de japonais photographiques, en ayant observé une demi-douzaine, et les habituels vigiles bleutés lorgnant les passants de haut, principalement ceux à la peau un peu trop foncée ou un peu trop jaune selon leurs critères personnels. Quelques rencontres éphémères furent pour le moins divertissantes: un sosie d'Alain Delon, un autre d'Elie Kakou (au moins, pour le deuxième, étais-je sûr et certain qu'il ne pouvait pas s'agir du vrai). Une bande de jeunes abrutis shootant dans d'innocentes valises sur leur passage. De sales gosses encombrant les escalators pendant que leurs mères parlaient chiffons. Une équipe de tournage de cinéma au grand complet qui encombra la gare une heure durant, deux filles aux vestes aux couleurs si criardes que, si elles passaient sur une vieille télévision, elles permettraient à son propriétaire de faire le réglage des couleurs, un vieux copain de classe qui, lui, avait une copine (pauvre con, va), un ivrogne qui hurlait à tout-va sur les passants, principalement ceux de sexe féminin, quelques mendiants à l'accent tchèque, sans oublier deux personnes vues le même jour à vingt minutes d'intervalle, qui avaient la particularité de se promener pieds nus. Soit des victimes d'un racket de fétichiste-de-chaussures-cleptomane, soit des descendants de hobbits, appliquant allègrement les codes vestimentaires de leurs aïeux, et peu importe qu'à la fin de la journée leurs pieds ressemblent à une plage bretonne après la rencontre d'un pétrolier et de ses copains récifs.

         Mais ce n'est pas la rencontre avec un être humain qui nous intéresse ici. L'évènement me concernant se déroula la veille de la mort de Michael Jackson, bien que les deux faits n'aient aucun rapport -sauf si, bien sûr, un spécialiste de l'effet papillon me trouve une explication valable; dans ce cas, je m'excuse auprès des fans de Bambi. Finissant un sandwich à la garniture d'autant plus insignifiante que je ne m'en souviens plus, je roulai en boule le papier aluminium ayant contenu le casse-croûte et le fourrai dans mon sac, en attendant de trouver la force qui me permettrait de me mouvoir jusqu'à la prochaine poubelle. Histoire de passer le temps, je cherchai également dans mon bagage le tome des Annales du Disque-monde entamé la veille.

         Quand, soudain, il vint.

         Voletant de-ci de-là, il se posa bruyamment à un mètre de moi. Un pigeon - Columba livia, pour les érudits. Grassouillet, les plumes en désordre, nul doute qu'il avait déjà vu passer un bon nombre de printemps. D'hivers, d'automnes et d'étés aussi, d'ailleurs. Il était hirsute, le plumage grisonnant et fort peu grisant, et partageait le regard de ses congénères, à savoir un oeil vide de toute lueur d'érudition derrière lequel on devine aisément un ou deux neurones qui pleurent dans leur coin parce qu'ils sont tout seuls. La patte gauche de l'animal était recouverte d'une substance indéfinissable; seul un biologiste attitré aurait pu dire si l'oiseau avait marché une heure durant dans les déjections de ses congénères, s'il avait débuté avec les moyens du bord la conception d'un déguisement de troll, ou si une blessure mal cicatrisée avait rendu le membre purulent. La dernière proposition était sans doute la bonne, car la bestiole boitait, et une canne n'aurait pas été superflue si seulement elle avait eu le matériel nécessaire pour la tenir, à savoir une main.

         Il était vraiment très laid.

         Le volatile me regarda, de son regard typique de celui qui a bu une gorgée de café de trop. M'ayant vu manger, nul doute qu'il était venu me quémander quelques miettes; hélas pour lui, mes casse-croûtes étaient d'ores et déjà en voie de digestion et j'ai l'habitude de manger proprement, si bien qu'aucune molécule de pain ne jonchai le sol aux environs de mon siège métallisé. D'un réflexe acquis durant ma prime jeunesse, et également durant la période de la grippe aviaire, je m'avisai de chasser le piaf inesthétique d'un coup de pied dans le vide. Mais je me ravisai. Après tout, que m'avait fait ce pigeon?

         Ayant eu la révélation de la journée, je me réinstallai dans mon siège et me penchai en direction de la bête, histoire de l'observer de plus près. Ce pigeon, finalement, était une victime. Car, qui aime les pigeons? Qui peut se lier d'affection pour pareille bête, à part les chasseurs mais pour des raisons bien à eux? Les oiseaux, en règle générale, sont beaux, non? Qui ne s'est jamais extasié devant un vol de mésanges au petit matin? Qui n'a pas tremblé en ayant la chance de voir un aigle de près? Qui peut rester insensible aux charmes d'un nid de cigognes en Alsace, à part les ramoneurs? Pas grand-monde. Des créatures qui volent, déjà, c'est magnifique -une merveille de conception que l'Homme a mis des millénaires à imiter. Les plumes des oiseaux, également, quelle beauté... ces becs, magnifiquement conçus... et le regard! Un regard d'oiseau, c'est quelque chose aussi. Un petit oeil de poussin, c'est mignon! Un oeil de moineau, également (du moins, la plupart du temps. J'ai personnellement connu un moineau au regard de psychopathe, et je puis vous assurer que ça vous marque à vie). Un oeil de faucon, c'est l'extase! Tant de puissance, et de grâce dans un simple globe coloré. Et le pigeon, lui? Il n'a rien de tout ça. Un pigeon, c'est moche. C'est bête. Ca roucoule comme un abruti, ça ne connait pas les règles d'hygiène les plus élémentaires et ça a un regard de cocaïnomane.

         Mais, ce n'est pas sa faute, après tout.

         Saviez-vous que les oiseaux étaient les descendants des dinosaures? Depuis qu'un darwinien convaincu a eu l'idée incongrue de comparer sa collection de fossiles avec les restes de poulet de midi, le fait est avéré. Présentez face à face à un quidam quelconque les photographies de serres d'un faucon pèlerin et de pattes de vélociraptor, et il sera bien en peine de vous dire laquelle a été tirée du dernier Jurassic Park. Ce pigeon, qui me regardait de son oeil de caméra de surveillance, peut-être était-il le descendant direct d'un tyrannosaure. Peut-être son lointain ancêtre passait-il son temps à bouffer ses semblables en leur brisant les os d'un simple mouvement de dents, achevant son repas par un cri bestial histoire de rappeler à toute la ménagerie préhistorique qui était le maître. Et voilà que le descendant de ce monstre était là, clopinant sur le macadam, à réclamer des miettes de pain. Lui, qui, des millions d'années plus tôt, m'aurait gobé comme une saucisse apéritif.

         La question est: à quel moment l'évolution a-t'elle merdé?

         Peut-être s'agissait-il là d'une fantaisie de Damoiselle Nature (oui, en passant, j'ai décidé de ne plus dire "Dame" Nature, car cet attribut sous-entend qu'elle est mariée. Or, on ne parle jamais de Sieur Nature, donc il n'existe pas. Ou alors, vu que sa dame se charge de tout, c'est rien qu'un gros feignant, et il ne mérite donc pas qu'on le cite). Les Dieux Grecs trouvaient souvent des raisons futiles pour infliger aux Hommes les pires tourments, peut-être la demoiselle créatrice était-elle dans le même cas. Sans doute, un jour, en état d'éthylisme avancé après avoir inventé la vigne et le gros rouge qui tache, Damoiselle Nature vit un troupeau de dinosaures batifolant gaiement dans les fougères en bouffant tout sur leur passage dans des effusions de sang. Et, avec force hoquètements et rots odorants, elle leur dit: "Bon, messieurs les dinosaures, vous avez peuplé ce monde des millions d'années durant, en déchiquetant vos semblables avec vos poignards de dents comme des sauvages. Eh bien, voyez-vous... c'est pas bien. Je le dis: dorénavant, vous serez minuscules, des plumes grasses remplaceront vos écailles, vous aurez un regard abruti et passerez votre vie à chier sur les monuments aux morts. Ainsi soit-il." Et alors que Damoiselle Nature, toujours un coup dans le nez, s'en allait gaiement étrenner l'ornithorynque, s'envolèrent dans le couchant les premiers pigeons de l'histoire de la Terre, allant accomplir leur mission ultime sans se douter que les premiers monuments aux morts ne seraient inaugurés que 65 millions d'années plus tard. Un fantastique gâchis.

         Oui, cette bestiole qui me lorgnait, là, menait une existence minable. Car, qu'est-ce qu'une vie de pigeon, après tout? Batifoler dans les effluves de gasoil. Manger toutes les saloperies possibles et imaginables traînant sur le trottoir. Roucouler en faisant un bruit qui fait honte à la gent ailée, repeindre les statues équestres d'une manière très personnelle, et se livrer à une activité que la morale réprouve, du moins en pleine rue. Et finir sa minable et pathétique existence dans l'estomac d'un félin de caniveau, dans les sculptures d'un Goodyear ou au pied d'une porte vitrée un peu trop propre. Ce pigeon, je le plaignais, et si je n'était pas maître dans l'art de contrôler mes émotions, nul doute que  j'aurais sauté sur cette pauvre bête et l'aurais embrassé fraternellement en essuyant une petite larme.

         La bête me jeta un dernier regard puis, s'avisant enfin qu'insister pour de la nourriture serait inutile, s'envola par une porte de la verrière. En traversant la rue, elle faillit s'encastrer dans le pare-brise d'une camionnette, et ne dut sa survie qu'aux excellents réflexes du conducteur.

         Qu'est-ce que c'est con, un pigeon, quand même.


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